
Canadian Journal for Traditional Music (1979)
Les Chansons de mon Grandpere
Damase Long, mon grand-pére, est né le 10 juillet 1897, dans la Concession des Long, a Clair, comté de Madawaska au Nouveau-Brunswick. Sa mere, Dorimè ne Bouchard, une Américaine, était une sage-femme du XIXe siècle. Son pére, lui, un Madawaskayen nommé Romain Long, surnommé Romain a Memène, était l'un des fondateurs du village de Lac Baker.
En 1899, la famille déménage au Lac Baker oü le père avait acheté un moulin a scie et farine de sarrasin. Ce moulin, actionné par le vent, jour et nuit, donnait un rendement plus ou moms considerable selon les caprices du vent.
Le jeune Damase fréquente la petite école, de cinq a douze ans. De six a trente-quatre ans, il sert la messe a l'église paroissiale, puis ii est promu constable de la méme église, de trente-quatre a soixante-deux ans. A partir de 13 ans, ii travaille au moulin de son pére; d'abord comme chauffeur de bouilloire, puis, a quinze ans, comme constructeur de moulins. A dix-huit ans, ii achète le moulin de son père et en demeure propriétaire jusqu'à ce jour. A partir de 1935, le moulin brûle cinq fois. Ii se vante d'avoir construit six moulins pour lui-même!
Le 26 juillet 1915, mon grand-père, qui n'avait pas encore dix-huit ans, épouse Georgiana Nadeau. Sa famille compte quinze enfants vivants et quatre morts. Actuellement, ii a soixante-quatorze petits-enfants et quarante-quatre arrières-petits-enfants.
C'est en 1978 quej'ai entrevu la richesse culturelle de mon grand-père. Le professeur de folklore nous avait charges de faire une enquête sur la littérature orale de notre milieu. J'ai découvert que, dans ma propre famille, il y avait un trésor inédit. Mon grand-père posséde un repertoire de chansons traditionnelles d'au moms une centaine; autant de contes et de légendes. L'enquête est terminée, mais je continue d'enregistrer ses récits et ses chansons.
C'est de sa mere surtout que lui viennent ses complaintes, ses chants religieux et ses chansons drôles. En plus d'être une conteuse professionnelle, elle chantait tant qu'on le voulait. Et, comme il le dit, "maman savait ni lire ni écrire; mais elle entendait une chanson une fois et elle la gardait toute dans sa tête. J'ai appris de même, moi aussi!"
Mon grand-père chante surtout en travaillant. Ii aime a mentionner que... "en tirant les vaches, c'était des turelures ..." Et, quand il allait voir sa blonde, il était accompagné au piano. Chanter devant une enregistreuse ne semble pas l'affecter. Tout ce qu'il craint, c'est de bredouiller. Il met beaucoup de vie dans ce qu'il chante et raconte. Ses souvenirs ont un accent nostalgique car us lui rappellent un passé qui lui est cher. Ii m'a révélé des choses qui m'ótaient totalement inconnues. Ii posséde une grande intelligence et une joie de vivre qui m'émerveillent. Ii ne veut pas se prévaloir de son statut d'octogénaire; il se dit encore jeune.
J'aimerais vous faire connaItre au moms quelques-unes de ses chansons qu'il a communiquées avec tant de chaleur et d'amour. Le "Je m'épouffe!" nous fait voir son sens profond de l'humour. Ii m'a dit avoir appris cette chanson lorsqu'il était encore enfant. J'ai recueilli ces chansons au cours de l'hiver 1978.
Venez entendre le récit
C'est de la guerre d'Italie.
Richard, un soldat d'Ecosse,
Un soldat dévotieux.
Se sert des cartes en égard
Et en priant, en servant Dieu.
C'est par un dimanche au matin,
Ii s'en va au service divin.
Ii tire un grand jeu de cartes,
En la presence de son sergent.
Ii les ébat, il les écarte,
Et a genoux dévotement.
Le sergent tout a l'instant,
Fut porter plainte au commandant.
Le commandant tout a l'instant,
Le fit venir de sur le champ.
Mais ii lui fit une morale,
Ii lui dit: "Richard, pour ta punition,
Mais il lui dit avec outrage,
Tu mérites la prison."
Je vous prie bien, mon commandant,
C'est de m'écouter un instant.
Ne me croyez pas si frivole,
Ne croyez pas quej'ai tort.
Ne me croyez pas si frivole,
Voilà mes cartes, major.
L'As me représente Dieu,
Qui crée la terre et les cieux.
Le deux, le trois, je pense de même,
Et a la Sainte Trinité.
Ne croyez pas queje mens.
Là, je dis la vérité.
Autant qu'aux quatre, je m'aperçois,
Me font souvenir de ses lois.
Ce sont les quatre évangélistes.
Et le cinquième me font souvenir
A la Sainte Vierge et martyre
Carje ne crois pas mentir.
Les six me font souvenir
A la creation du monde.
Autant qu'aux sept,je pense de méme,
Et au septième jour du repos.
Dieu, dans sa bonté suprôme,
A béni tous nos travaux.
Les huit me font souvenir
Aux huitjustes échappé s.
C'est dans le temps du grand Deluge,
De la famille de Noé.
Mais ils avaient que pour refuge
Leurs grands yeux pleins de bonté.
Les neuf sont les neuf lépreux
Guéris par le Fils de Dieu.
Autant qu'aux dix, je pense de même,
Et au dixiéme commandement.
C'est pourquoi je les observe
C'est pour vivre plus chrétiennement.
Les dames me font souvenir
A la Mere du Tout-Puissant.
Qui enfanta par assurance
Dans une étable, si pauvrement.
Le vingt-cinq de décembre,
Le Roi des anges assurément.
Les rois me font souvenir
Aux trois Rois de l'Orient.
Ils sont conduits par une étoile
Pour adorer le Tout-Puissant.
Les Mages lui ont offert
De l'or, de la myrrhe et de l'encens.
Dites-moi, brave Richard,
Que fait l'autre roi a l'écart.
Mon commandant, le roi Hérode
Qui est orgueilleux et opulent.
La peur de perdre sa place
Fait mourir le Tout-Puissant.
Dites-moi, brave Richard,
Que font les valets a l'écart.
Mon. commandant, c'est la retraite,
De ce malheureux Judas.
Ii a voulu trahir son maître.
N'est-il pas trop scélérat?
Vous voyez bien, mon commandant,
Que je vous pane en vrai chrétien.
Tiens, Richard, pour ta recompense,
Voilà quatre beaux louis d'or.
Reçois ma reconnaissance,
Car ton récit nous met d'accord.
LA COMPLAINTE DE LA FIN DU MONDE
C'est par unjeudi au matin,
Le soleil, ii se lévera.
Il se lévera d'un feu si grand,
Ii sera rouge comme le sang.
Vous voirez les animaux sauvages
Qui sortiront du vert bocage.
Regardant tous la men flamber
Comme si elle aurait l'air de pleurer.
La terre viendra comme un tison.
La mer sera comme un charbon.
Maisons, châteaux, beaux bâtiments,
Tout prendra fin dans un instant.
Jesus viendra pour nousjuger.
Il aura les pieds et les mains cloués.
Le diable qui sera de son bord,
Gardena tous les méchants a l'écart.
La Sainte Vienge viendra aussi
Pour prier les péchés commis.
Les anges qui l'accompagneront
Auront grand peur, qu'ils frémiront.
JE M'EPOUFFE
Venez écouten le récit chanté
D'un jeune homme de qualité.
Cent mule écus ii a gagnés
En peu de temps sans doute,
Rien que pour avoir dit seulement
A tout le monde: "Je m'épouffe!"
Ce jeune homme, bien poliment,
Invite son oncle, humblement;
L'invite a venir ses noces.
Son oncle Iui dit: "Mon ami,
Je veux vous dire une chose,
Surtout, retenez bien ccci.
Centre universita ire SLM
Edmundston, N. -B.
Laissez passer cette nuit,
Votre femme seule au lit.
Là, mettez-vous dans un coin,
Pour pas que l'amour vous touche.
A chaque mot qu'elle vous dira,
Répondez: "Je m'épouffe!"
Voilà le soir arrivé,
Le beau drôle a pas manqué.
Tous ses parents s'sont retires
Pour que sa femme, elle, se couche.
"Venez vous coucher, mon man."
Il répond: "Je m'épouffe!"
La robe de chambre, elle a pris
Dc sur son père, elle s'enfuit.
"Vous m'avez donné t-un man,
Je crois qu'il est farouche.
Je crois qu'il a perdu l'esprit.
Il répond: "Je m'épouffe!"
Son pére et sa mere sont allés
Sont allés là pour lui parler.
Son pére lui a dit: "Mon ami,
Savez-vous cc qui nous courrouce?"
Mais le drôle ne l'a pas manqué,
Ii répond: "Je m'épouffe!"
Le lendemain de la matinée,
Son oncle, ii est arrivé.
Cent mule écus lui a comptés
Dans une belle bourse.
"Voilà cc que tu as gagné
D'avoir dit: "Je m'épouffe!"
Ce jeune homme, bien poliment,
Remercie son oncle humblement.
Embrasse sa femme dans un instant,
En lui donnant la bourse.
Dit: "Voilà cc que j'ai gagné
D'avoir dit: "Je m'épouffe!"
— — — Excusez-là!
© Canadian Journal for Traditional Music