Canadian Journal for Traditional Music (1975)

Situation de le Recherche en Folklore Acadien

Charlotte Cornier

La recherche en folklore acadien est en progression. . . ascendante, j'ose croire. Pour y voir clair, voici une vue a vol d'oiseau des travaux effectués depuis le debut des fouilles en culture populaire acadienne. Après cette tentative de tableau chronologique (difficile puisque les recherches ont été quelque peu dispersées), ii sera plus facile de voir on nous en sommes aujourd'hui, de se faire une idée du territoire parcouru et a parcourir (sur la carte), et de tenter une perspective de l'avenir.

La vue a vol d'oiseau sera faite de très haut, si je peux dire, faute de temps; ainsi seulement les grandes collections seront signalées, méme si les petites sont importantes aussi. Notons que deux institutions majeures de recherche et de conservation ont été a l'origine des enquétes en tradition populaire acadienne: soit le Musée National a Ottawa, et les Archives de Folklore de l'Université Laval.

Marius Barbeau est reconnu comme le père des recherches folkioriques au Canada. Ethnologue au Musée National des 1911, ii dirige pendant plusieurs années une série d'enquêtes subventionnées, en plus de faire ses propres collectes. Ii vient en contact avec le folklore acadien de la Baie-des-Chaleurs des 1923 oü ii recueille quelques centaines de versions. 1 Le Musée National conserve quelques 45 rubans magnétiques de la collection Barbeau, plus des textes manuscrits comprenant des item dans tous les domaines de la littérature orale, contes, chansons, pièces de musique instrumentale, etc.

Les premiers rubans sont bien sur des repiquages d'enregistrements sur cylindres de cire et flu de fer, premiers instruments d'enquêtes.

La Musée National conserve aussi quelques 135 chansons de la collection des pères Arseneault et Gailant, recueillies en 1925-26 dans la region de Mont-Carmel sur l'Ile-du-Prince-Edouard.

Pendant que Barbeau continue sa collecte, J.-Thomas LeBlanc de Moncton recueille (entre 1939 et 1943) quelques 1340 textes manuscrits par la voix du journal . 'Evangeline, ainsi 1340 variantes de 534 chansons différentes (Collection déposée a la fois au Musée National a Ottawa, Archives de folklore de l'Université Lava!, and Centre d'études acadiennes de l'Université de Moncton.

A la méme époque, soit en février 1944, une chaire de folklore est fondée a l'Université Lava! par un grand ami de Barbeau, Monsieur Luc Lacourcière, qui écrit a !'époque son intention, et je cite, de "preparer un vaste programme d'enquétes dans toutes les parties françaises du Canada."2

M. Lacourcière effectue plusieurs enquëtes sur un assez vaste territoire et découvre a son tour !a richesse du patrimoine acadien, se rendant a plusieurs reprises dans le nord-est du Nouveau-Brunswick, souvent en compagnie de Mgr Felix-Antoine Savard, et puis de l'ethnomusicologue Roger Matton. La coilection Lacourcière est monumentale, car en plus de ses dons pour la cueillette, ii est venu a un moment oü les chanteurs et conteurs exceptionnels étaient nombreux.

Pendant ce temps, le Dr Carmen Roy, du Musée National, parcourt aussi beaucoup de territoire acadien, partant du sud de la Gaspésie, longeant la côte du Nouveau-Brunswick, jusqu'en Nouvelle-Ecosse, puis aux Iles-de-laMadeleine. Sa collection comporte plus de 1700 chansons acadiennes. Au debut des années '60, Maguy Andral, ethnomusicologue aux Musée National des Arts et traditions populaires de Paris, vient rejoindre Carmen Roy et toutes deux effectueront d'importantes cueillettes, Mlle Andra! en NouvelleEcosse, et Carmen Roy a l'Ile-du-Prince-Edouard, et aux Iles-de-la-Madeleine, rapportant chacune près de 100 item enregistrés, déposés au Musee National d'Ottawa comprenant des pièces de musique vocale et instrumentale.

Les années '50 amèneront donc les heureuses consequences des premieres trouvailles des pionniers: les enquêtes se multiplient et chaque cueillette n'est qu'une preuve de plus que la culture populaire acadienne est parmi les plus riches de la francophonie. Le long isolement historique des Acadiens a eu comme un effet de serre chaude sur !eurs traditions. En plus de se conserver mieux, e!les ont fleuri . . . Un après l'autre, les folkloristes viennent faire tourner leurs magnétophones.

D'une part le docteur Dominique Gauthier, voyant les merveilles recueillies par Luc Lacourcière et ses collaborateurs dans sa region de Shippagan, decide d'examiner son coin de terre avec un oeil autre que medical et avec son magnétophone recueille contes, chansons, !égendes, pièces instrumentales, etc. .. . obtenant ainsi une des plus belles collections acadiennes. La collection Gauthier est déposée a Lava!.

Vers 1959 Catherine Jolicoeur ébauche une collecte impressionnante de pièces de littérature orale comportant près de 1700 item, deposee aussi a Lava!.

Les années '60 voient une nouvelle génération de collecteurs venir s'ajouter aux précédents qui continuent leurs enquêtes de plus belle. Jean-Claude Dupont fait des enquêtes chez la minorité acadienne de Terre-Neuve dont il tirera une publication,3 puis vient donner des cours en folklore acadien a !'Université de Moncton tout en continuant ses recherches. Ii regagne ensuite !'Université Laval oü il donnera encore une série de cours en folklore acadien. Ii possède entre autres une intéressante collection de complaintes acadiennes.

Si jusqu'ici, on avait oeuvré a partir des grands centres (Ottawa et Québec), avec ces derniers, on s'aperçoit que cc sont surtout des Acadiens maintenant qui font des recherches. La renaissance est a son plus fort . Depuis 1963, les Acadiens ont leur Université, !aquel!e s'est donné en plus un Centre d'études acadiennes regroupant des spécialistes de différents secteurs (histoire, généa!ogie, etc.) Puis en 1970, s'y ouvrira enfin, une section-folklore Un nouveau chapitre...

Recherche Depuis 5 Ans au Centre D'ÉTudes Acadiennes

La section-folklore du CEA naft donc en 1970. Dans des conditions modestes, les ambitions n'en demeurent pas moms a la hauteur. On se fixe d'abord quatre grands objectifs.

(1) Choisir et adopter des systèmes de classification reconnus rendant possible une consultation pratique.

Les systèmes de classification adoptés sont les mémes, en général, qu'aux Archives de folklore de l'Université Lava!:

Ex: Chanson — Le catalogue de la chanson de C. Laforte qui ramène toutes les versions sous un méme titre critique.

(2) Quant aux collections, acquérir (rapatrier) les collections déjà existantes et établir un programme d'enquêtes subventionnées.

Collections — Acquérir les collections acadiennes déjà existantes n'est pas chose facile, ne serait-ce qu'à cause des complications techniques que cela comporte. La section-folklore peut au moms se féliciter d'avoir obtenu la collection complete du P. Anselme Chiasson (1957-1973), soit 113 bandes magnétiques simples comportant 1148 item dont 882 chansons et 102 magnifiques contes. La deuxième qu'il importait d'avoir en bon état est !a collection manuscrite de Jos-Th. LeB!anc. Pour ces deux collections, grace a !a collaboration du Musée National, c'est maintenant chose faite.

Nous avons en plus entamé des negotiations pour d'autres collections qui donneront sUrement un résultat un jour...

Etablir un programme d'enquêtes s'est avéré relativement facile grace aux subventions obtenues. Entre autre, dans les cadres de Perspectives-Jeunesse nous avons obtenu que quatre équipes puissent aller sur le terrain pendant quatre saisons d'été consécutives, nous récolter des traditions qui sont loin d'être perdues.

Les inventaires des collections Perspectives-Jeunesse démontrent une récolte très louable.

(3) Pour les cours, instances en pédagogie du folklore, initiation a l'enquête sur le terrain: il s'agit d'intégrer des enquêtes dirigées dans le programme académique.

Les cours de folklore connaissent un assez bon succès. Une initiation complete a la tradition orale acadienne et a l'enquête y est donnée — et encore là, une récolte de documents précieux. On y trouve méme déjà le debut d'une relève; entre autres, un monsieur Georges Arseneault (I.P.-E.), dont la collection est très intéressante, prepare une maftrise a Lava!.

(4) Enfin, dépouillement de toutes les autres sources, journaux, revues, etc. .

Nous conservons au CEA une belle collection de journaux acadiens dont deux ont fait l'objet d'un dépouillement systématique par la section folklore: Le Moniteur Acadien et . 'Evangéline.

Bref, il existe au minimum une centaine de collections acadiennes, et d'autres sont en cours. Nous avons un certain problème de recul en cc qui concerne nos statistiques. Etre a jour est impossible. En octobre dernier, au recomptage officiel, nous avions

383 bandes magnétiques comprenant 2201 chansons, 250 pièces musicales, 381 contes, 331 légendes et autres, 117 pièces de folklore indien, pour un total de 3281 pièces enregistrées, plus 1584 chansons manuscrites. Ce qui nous fait 4865 item.

Nous avions alors 69 enquétes manuscrites non dépouillées. La plupart l'ont été cet hiver. Autre acquisition, la collection Livin Cormier de Caraquet, nous offre 345 pièces dont 190 chansons. En plus, les collections faites par les étudiants des cours de folklore des 1er et 2e semestres 74-75, évidemment sont encore en voie de classification.

Mais méme si je pouvais vous offrir ces statistiques d'une façon exacte, une équipe de Perspectives-Jeunesse est actuellement à l'oeuvre dans le Nord-Ouest qui les rendrait dépassées.

Les Acadiens sont installés surtout le long des côtes; c'est l'histoire qui l'a voulu. Des enquétes ont été faites dans le comté de Gloucester (N.-B.), la region de Chéticamp et sud-ouest en Nouvelle-Ecosse, sur l'Ile-du-PrinceEdouard, et aux Iles-de-la-Madeleine. Plus récemment, les comtés de Kent et Westmorland ont été parcourus et cet été, le comté Victoria (N.-B.).

% de francophones aux Maritimes:

1961 1971

N.-B. 35.2% 34.0%

N.-E. 5.4% 5.0%

I.P.-E. 7.6% 6.6%

L'important c'est de ne pas croire qu'une region touchée a été complètement épuisée par les enquétes. Il reste encore beaucoup de sources dans lesquelles aller puiser. Ii faut garder en tête le principe que cc sont les variantes qui font la richesse d'un fait de tradition populaire. Les petits details, les menues differences que l'on peut recueillir dans une méme chanson, un méme conte, une méme recette de cuisine, ou de médecine populaire dans le village d'à côté, la region voisine, voilà cc qui rend passionnante la poursuite de la recherche et des etudes comparées.

Les etudes comparées, les recueils et tout cc qui peut faire matière a diffusion sous forme de publications, de these, de disque et autres sont loin d'avoir atteint, en folklore acadien, un niveau satisfaisant, si l'on considère la quantité inépuisable des différents champs d'études. La section folklore du Centre d'études acadiennes a tout de méme mis au point une bibliographic ainsi qu'une discographie assez exhaustives de la matière disponible.

Parmi les item importants, il faut signaler les Chansons d'Acadie des Pères Anselme Chiasson et Daniel Boudreau, déjà mentionnés, dont le 5e volume est en preparation. Le plus important: Acadie-Québec, disque indispensable préparé par Luc Lacourcière et Roger Matton. De nombreux disques de folkloristes interprètes.

Je m'arrête, car de tout ça vous aurez des echos . . . prévus dans notre perspective d'avenir, plusieurs projets:

(a) Avec le personnel requis, accélérer le dépouillement et la classification de nos documents sonores et manuscrits, et aménager une salle d'écoute pour faciliter la consultation.

(b) Augmenter le programme d'enquêtes (c'est urgent).

(c) Accroftre !a diffusion et c'est le point oU je veux en venir surtout: on publiera bientôt le volume "Folklore" du grand Inventaire des Sources en etudes acadiennes dont le icr volume est déjà terminé.4 Vous pourrez trouver dans cc volume "Folklore" la bibliographic détailée dont j'ai fait mention, rassasier votre curiosité si j'ai su l'éveiller au moms un peu et considérer le tout comme une invitation a venir travailler chez nous dans tout cc bagage de merveilles qui composent la culture populaire acadienne!

Je voudrais terminer sur un mot de M. Lacourcière: "Si le folklore, a son point de depart, est une étude régionaliste, ii peut s'élever, par la valeur humaine des faits individuels et sociaux qu'il recueillc et relic, jusqu'à une veritable science de !a grande fraternité humaine."5

Centre d'etudes acadiennes, Université de Moncton, Moncton, NB.

1Marius Barbeau, Romancero du Canada (Toronto: Macmillan, 1937), p. 184

2"Les etudes de folklore francais au Canada," Culture Vivante, Québec, mars 1945, pp. 3-9.

3Contribution a l'ethnographie des cOtes de Terre-Neuve (Québec: Université Laval, 1969) 165 pages.

4lnventaire general des sources documentaires sur les Acadiens. Ed. d'Acadie, Moncton, 1975, 526 pages.

5Culture Vivante, p. 9.

Resumé: Charlotte Cormier outlines the history of research into A cadian folklore, mentioning the main collectors and publications, and describing the work of the Centre for A cadian Studies at the University of Moncton.