Canadian Journal for Traditional Music (1989)

Petite Histoires Des Musiques Afro-Montrealaises

Robert Villefranche et Yves Bernard

Les récents développements de musiques nouvellement aiTivées a Montréal ont rendu possible l'élaboration de ce brefhistorique. Le terme "musiques afro-montréalaises" regroupe les pratiques musicales des communautés de culture noire de même que les echanges d'expériences des musiciens ISSUS de ces communautés avec d'autres rencontrés áMontréal.

Pour les hesoins de cette étude. nous avons volontairement omis certains styles d'origine nord-américaine tels le jazz. le blues etc: ces musiques ayant deja fait l'ob jet de plusieurs etudes particulières.

Nous nous intéresserons donc particulierement aux contributions musicales des communautés antillaiss, sud-américaines et africaines. Pour ce faire, il nous faut remonter aux années soixante alors qtze Ia communaute haitienne qui deviendra Ia plus importante en nombre. commençait à se former suite a l arnvee de plusieurs personnes (majoritairement des étudiants et des professionnels) qui avaient fui le régime politique de leur pays. A cc moment, on ne pouvait pas encore parlei' d'une musique afro-montréalaise et seules deux boites présentaient des musiques de culture noire: le "Perchoir D'Haiti" diffusait le compas haitien tandis que le "Rockhead's Paradise, proposait des groupes canadiens ou américains dont le repertoire était principalement compose de "Rythm and blues." La principale source d'influence pour cette période était donc surtout nord-améi-icaine même si quelques groupes de folklore haitien commencaient a se constituer de faç on plus ou moms formelle: on enseignait en petit groupe les rythmes et les danses du pays d'origine mais les activités ne dépassalent pas le cadre de la reunion familiale ou de Ia salle paroissiale.

Vers 1965, sous Ia direction de Michel Séguin. le percussionniste hien connu, les Caribs seront Ia seule formation a tenter un élargissement des frontières musicales en proposant un repertoire compose "d'Afro-rock." Mais cc groupe Ctait installé à Ottawa et cc n'est que dans Ia dCcennie suivante que Michel Séguin exercera un profonde influence stir le développement de nouveaux rapports musicaux dans Ia métropole québécoise.

L'année 1972-73 contitue Ia premiere étape cruciale pour le développement des musiques afro-montréalaises. D'abord stir le plan communautaire alors que les gens d'origine haitienne mettront stir pied des organismes qui leur sont propre (Maison d'Haiti, Bureau de la Commiinaiité Chrétienne, etc.). Ce développement s'est avéré nécessaire suite a I'arrivée massive d'une nouvelle gCnCration d'immigrants haitiens qui représentaient, plus que leur prédessesseurs, les couches populaires de leur pays d'origine. II s'en est suivi Ia formation de Ia premiere troupe de danse offIciellernent reconntie: "Mapou Guinin." Cette troupe qui s'inspirait de Ia musique rituelle haitienne fut

I . Cet article est le résultat de recherches efi'ectuées dans le cadre du proict: "Musiques des Communautés Culturelles de Montreal sous Ia direction de Mme Monique Desroches professeur la Faculté de musique de I' U niversité de Montreal, la première initiative notoire du percussionniste-chorCgraphe Georges Rodriguez.

Des le debut. les immigrants d'origine haitie,iiu' se sont installés au sei de Ia partie fra/wop/lonc de Montréal cc qui accentue le caractère particulier de cette communaute. Par ailleurs les communautCs de cultures noires anglophones qui regroupent majoritairement des gens de souche ou en provenances de pays antillais tels la Jamaique le Trinidad et la Barbade organiseront en 72-73 I'Afro-Festival, tin CvCnernent qui deviendra annuel. Cette activité qui permettra a des musiciens Iocaiix ile s'exprimer, suscitera méme durant Ies annCes 70s. plus d'impact qu'un ëvénernent seblable qui est organisé a Toi'onto par une conimunaute beaucoup plus nombreuse.

Vers la niCrne période. Michel SCguin formera le premier groupe d'afro-rock quChecois: Toubahou. Ce groupe deviendra célèbre quelques anneées plus tard en proposant tine integration de rythmes traditionnels af ricains (surtot.it sénégalais a Ia musique pop nord—arnericaine. Paralèlement à ces activités. Séguin sera a l'origine. en compagnie de quelques autres percussionnistes dont le colombien Joey Armando et sa Salsa, des premiers regroupements de tambourineurs a chaque dimanche apres-midi suit- le Mont-Royal. tout pres du centre-ville. Dix-sept-ans plus tard ces regroupements existent encore et il n'est pas rare qu ile suscitent des assistances de 500 a 600 personnes. Au debut ces CvCnements se voulaient des occasions d'offrir des ateliers de percussions et de faire de Ia musique "en famille."

1974 marque l'avènement du premier catalyseur: La Super Eraiwo— Féte, un vaste Cvénement multi-culturel teiiu à Québec et realise en collaboration avec des musiciens traditionnels africains (Ia farnille de per— cussionnistes sénégalais N' I)aye Rose entre autres) et les musiciens du groupe Toubabou. ['impact de cet evénement se mesurera surtout par I 'intéret qu'il suscitera chez de jeunes musiciens d'origines culturelles diverses 1975-76 marque Cgalernent le debut de nouveaux Cchanges interculturels entire musicients de provenances diffCrentes qul sortiront dans les rues avec les tambours. Les mernhres du groupe culturel "Aganman." dont I objectif est de prornouvoir Ia culture noire de Montréal se réunissaient réguilèrement thins le vieux MontrCal. Leur noyau Ctait composé de musiciens d'origine haitienne mais d'autres, d'origine afri— caine, latino—aniCricaine ou quChécoise apportalent également leur Con— tribution.

D'autres musiciens, sw-tout des percussionnistes arrivent d'amérique latine et de quelques pays de l'afrique francophone. Leur repertoire sera essentiellement composé de pièces traditionelles et leur champs de diffu— sion sera plutot limite.

En 1976 les rues du Vieux-Montréal seront plus animées que jamais a cause de Ia tenue des Jeux Olympiques. ParalClernent aiix activités spur— lives. plusieurs formations musicales à rendance afro qu'elles solent locales ou non prendront place tout l'été. Quelques percussionnistes am yes ici ( Yava Dialo, Taki etc. ) collahoreront régulièrement avec Michel SCguin et Georges Rodriguez fonde la troupe Rada. tine format ion encore active dont I objectif est de diffuser les traditions haitiennes.

Durant celtic pCriode tine nouvelle tendance se dessine au seiti des mu siciens d 'origi ne africaine : l 'eborat ion d 'tin répertoire Compose aussi bien de musique populaire que de musique traditionnelle. Le groupe Afram (Afrique en Amérique) aurait fait figure de précurseur dans cette vague et au debut, les musiciens de cette formation devaient Iouer salles et instruments pout- faire connaltre cc nouveau style a un public majoritairement compose d'étudiants. A Ia fin des années 70s Ia communauté haitienne était le reflet d'une complete micro société et d'autres activités musicales prenaient forme; on organisait au profit des gens de Ia communauté des bals a grand déploienent avec des groupes venus de I'extérieur. Ces bals se voulaient des reconstitutions les plus exactes possible de l'ambiance règnant en Haiti.

Les pratiques musicales issues de Ia communauté commençaient également a se diversifier; quelques chanteurs-solistes vivant a Montréal commençaient a regrouper des musiciens pour se faire accompagner et progressivement, en quelques années le repertoire s'étendra a Ia chanson engagée (Mano et Marco). La chan son romantique (Marc-Yves Volcy) et le compas direct qui est Ia musique des grands bals. Le groupe Alpha Express se produira d'ailleurs régulièrement au sei d'une boIte de Ia communauté: "La Barre 5." Mais jusque-là et sauf quelques exceptions dont on a fait mention précédemment, les activités musicales demeuraient cantonnées a I'intérieur de chaque communauté.

Nous présenterons maintenant quelques notes sur les debuts de la Salsa et de la musique afro-cubaine a Montréal. Dans les années 70s, rares étaient les véritables salseros a Montréal. Joey Armando et De Doo Morris auraient étés a l'origine de Ia diffusion et de l'apprentissage de cc style. Vers 72-73-, quelques musiciens se sont d'abord réunis au café Mojo puis par Ia suite au Rainbow Bar ou le pianiste attitré s'accompagnait régulièrement se six a dix percussionnistes. Il faudra attendre le debut de la présente décennie avant de retrouver un groupe "Quines" qui sera tres actif. Au debut des années 80s des activités de solidarité permettront des collaborations avec des musiciens-chanteurs montréalais bien connus, comme Richard Séguin et Raoul Duguay. Durant cette prériode, la communauté noire anglophone traversait de son côté une certaine crise d'identité ou l'arrivée massive de nouveaux immigrants. En dépit des succès de I'Afro-Festival (et de Ia parade, la Can-Fête) le leadership culturel s'est progressivement déplacé vers Toronto. A Montréal, comme ailleurs, Ic reggae faisait office de catalyseur et complétait de façon notoire un panorama de musiques populaires souvent inspire de Ia culture noire-américaine.

Cette période marque également le debut d'un nouveau phénomène a Montréal; des musiciens d'origine africaine formeront des groupes de musiques avec d'autres musiciens rencontrés ici. Le premier de ces groupes semble être Kléba, un groupe formé en 1978 par Yaya Dialo. L'année suivante, Taki proposera avec Djembe une musique introspective réalisée en collaboration avec un Ilutiste et un saxophoniste.

Deux nouveaux phénomènes marqueront surtout Ia présente décennie: l'ouverture inter-communautaire et de nouveaux types de diffusion des musiques afro-montréalaises.

En 1981, les musiciens du groupe Aganman, de retour d'un séjour en Amérique du sud, organisent sur le site de "Terre de Hommes" le premier festival de musique noire destine a l'ensemble de Ia communauté montréalaise. Cet événement deviendra la premier d'une série de festivals qui se développeront progressivement dans les années 80s. Il présentait une programmation complete réalisée en collaboration avec huit groupes locaux, de même qu'une percussionniste d'origine brésilienne: Assar Santana.

Chaque musicien présentait son p1-opt-c spectacle en plus de collaborer a un conte commun a toutes les cultures originales des musiciens participants.

L'événement a attire l'assistance de quatre mille personnes surprises de constater le caractère local de Ia programmation présentée. Tenant compte de l'intéret suscité, les organisateurs ont répété I'expérience l'année suivante au Theatre de Ia Verdure du Parc Lafontaine.

Vers 82-83, les musiques des communautés de culture noire commencent a entrer dans les moeurs montréalaises. Les Haitiens continuent de faire leurs bals au sei de leur communauté et les gens des Antilles anglo-phones organisent de nombreuses parties de soca et de Calypso mais de nouvelles tendances font leur apparition. Des musiciens d'origine québécoises (Michel Séguin mis a part) commençent a former Ieur propres orchestres de musique du sud et surtout, progressivement des petites boites se formènt autour de l'axe Avenue du Parc-Saint-Laurent (coeur du quartier multi-culturel de Montréal). Ces clubs sout la propriétë des gens de plusieurs communautés différentes qui se réunissent dans le même secteur pour procurer a Ia ville une nouvelle ambiance. A partir de cc moment, des initiatives musicals jamais tentées jusque-la voient lejour.

C'est ainsi que Ia télévision d'Etat realise en collaboration avec Doudou Boicel un emission spéciale a laquelle ont participé conjointement des musiciens d'origine haitienne, cubaine, africaine, jamaicàine et trinidadienne. Cette experience a coincide avec une période ou cette musique commencait a être diffusée dans les Boltes locales.

De la musique noire a Ia musique furiar, nous vivons maintenant les consequences de ces initiatives du debut de Ia décennie d'autant plus que nous recevons les effets de l'évolution des musiques noires de parle monde: des formations musicales a tendance africaine ou antillaise (Toure Kunda, Kassau, etc.) viennent régulièrement remplir a Montréal des salles importantes. A partir de 1982, quelques groupes de musiciens produiront des disques ou cassettes, Quelques uns seront issus de la communauté haitienne et présenteront plusieurs facettes de leur cultures alors que d'autres sans renier leur patrimoine d'origine, s'inspireront des nouveaux courants de fusion de musiques. Yaya Dialo sort en 1982, un disque inspire de Ia culture sénoufo mais en mettant en relief une dimension plus intimiste; Pierre Cormier, en collaboration avec des percussionnistes d'origine cubaine et québécoise enregistre un repertoire afrocubain trés proche de Ia musique rituelle sous le nom de Batanes; Eval Manigat un bassiste-arrangeur haitien, proposera, en collaboration avec d'autres musiciens d'origine haitienne, québécoise et de la chanteuse Karen Young, une fusion entre le compas direct et lejazz, etc.

Nous assistons maintenant a une mode internationale. Des gens comme Paul Simon et Peter Gabriel ont contribué a faire connaItre des musiciens africains et les stations de radio diffusent abondamment cc genre d'expérience. Mais rares sont les musiciens québécois qui vont dans cc sens. Depuis un an, Jean-François Fabiano, qui est un batteur d'origine franco-guadeloupéenne installé a Montréal depuis 1986, accompagne Robert Charlebois avec son groupe, le Tropical Rock Band. En plus, le Stricly Taboo de Sari Dajani collabore régulièrement avec Jano Bergeron et le plus recent album du duo Young-Donato comprend cinq compositions d'Eval Manigat.

Ces experiences sont des premieres dans ce sens même si en 1982, une tentative avait étéé réalisée avec les musiciens d'Aganman et Claude Dubois.

Egalement depuis quelques années. de nouvelles formes de promotion de la musique noire apparaissent a Montréal et de nouveau festivals font leur apparition. Le Cai-naval du Soleil propose à chaque année depuis 1983 une programmation complete axée sur les groupes locaux alors que l 'afro-festival vise maintenant l'ouverture inter communautaire.

Le festival "Rythme du Monde" en sera cette année a sa quatrième edition et l'an dernier, l'organisation s'est attirée Ia participation de plus de 10.000 personnes avec une programmation de musique locale, nationale et internationale. Depuis Ia premiere année, la programmation de ce festival s'élargit en permettant plus de place aux groupes internationaux tout en conservant un aussi grand nombre de formations locales. L'objectif de base est de faire connaltre les traits culturels dont les racines se trouvent en Afrique tout en permettant aux artistes locaux d'être en relation avec leurs collègues du pays d'origine.

Le réseau de diffusion des musiques noires locales semble en voie de s'élargir quelque peu. En plus du Balattou, du Kilimanjaro, du Scorpio et de quelques autres boites gérées par des gens de Ia communauté d'origine. d'autres clubs situés généralement dans le même axe proposent régulièrement une programmation avec des musiciens locaux.

Depuis quelques mois, le réseau des Maisons de 1(1 Cit/litre de Ia yule de Montréal semble également plus enclin a permettre un tribune pour Ia culture noire locale. Au printemps dernier. trois de ces organismes, en collaboration avec l'organisation du festival "Vues D'Afrique" ont organisC des a tivités d'animation avec des musiciens d'origine africaine en spectacle. Au même moment, Ia Maison de Ia Culture de Maisonneuve présentait Ia série "Musique du Monde" qui allait thins le même sens.

Conclusion

La présente situation permet-elle d'affirmer que Montréal est a l'aube des métissages tels que nous les connaissons en France et en Angleterre? C'est possible. Peut-être ne manque-t-iI au panorama qu'un système de diffusion a l'anné e de façon à perrnettre aux musiciens de s'exprimer plus largement. Nous avons identifié plus de cent musiciens ou groupe de musiciens qui sont issus des communautés de culture noire a Montréal et les seuls qui peuvent vivres de leur musique sont ceux qui ont produit un disque. Quelques uns ont étés enregistré cette année par le chanteurguitariste d'origine brésilienne Paolo Ramos, Ia chanteuse-chorégraphe d'origine sud-africaine Lorraine Klaasen et Jean-François Fabiano. Mais Ia distribution derneure déficiente. Les correctifs seront peut-être apportés dans les prochaines années.

Abstract: Robert Villefranche and Yi'es Bernard describe the history of Montreal musicianS of Africaii descent, telling of the formation of variOIlS groups that pert ormed (it community events and festivals and became more it widely known through recordings and festivals.