Canadian Journal for Traditional Music (1984)

Les Chansons D'Acadie

Francoise Grenier

R.R.P.P. Anselme Chiasson et Daniel Boudreau. Chansons d'Acadie. Moncton, Editions des Aboiteaux, 1942, 1944, 1946, 1972, 1979.

Les folkloristes et les musiciens pedagogues contemporains ne se doutent que trop rarement de leurs intérêts communs et de l'enrichissement que pourrait leur apporter une étroite collaboration. Alors que le folkloriste est en quê te d'un auditoire sensible, le pedagogue est a la recherche de materiel pedagogique de valeur en même temps que vivant.

Les Chansons d'Acadie peuvent certainement devenir un point de rencontre entre folkloristes et pédagogues. Dans cet esprit, le present article a pour but de voir jusqu'oü ces chansons peuvent se prêter a l'apprentissage de la musique a l'école.

Il sera d'abord question de la place du folklore a l'école puis des objectifs pédagogiques du professeur de musique. Ensuite, en référence aux cinq premieres series de Chansons d'Acadie, le choix des éléments propices a l'activité pédagogique méme sera proposée a travers la description des cahiers et l'analyse de la notation mélodique et rythmique de leurs chansons. Enfin, un tableau comparatif des principaux aspects de la presentation matérielle des cahiers donnera une idée generale de leur apparence. La conclusion proposera des modifications de forme et de presentation dans le but de favoriser l'utilisation de ces chansons en contexte scolaire.

Le Folklore a L'ÉCole

Chaque fois qu'il est question de folklore et de pedagogie, je suis tentée de me transformer en sociologue et d'étudier les motivation des professeurs et Ia reaction de leurs éléves face au materiel utilisé. Au cours de musique, par exemple, il n'est pas evident que la presentation d 'une chanson folklorique suscite 1 'enthousiasme immédiat de tous les enfants. Le succès de l'entreprise dépendra avant tout de la presentation, du context et de l'utilisation de la chanson.

Vers la troisième année d'école, l'enfant développe un sens critique qui lui permet de faire la difference entre la musique couramment entendue a la radio, a la télévision ou au spectacle, et la chanson traditionnelle présentée en classe. Chacun est exposé a une riche variété de musiques qui, par leur origine et leur traitement, sont différentes (je pense par exemple au Jazz, au Rock, a la musique des Indes ou a celle de l'Amerique du sud).

Où que l'on soit, la musique populaire contemporaine reprend les themes universels contenus dans la chanson folklorique: amour, vie quotidienne, mort et événements saisonniers, etc., et ce dans des contextes et des termes nécessairement plus actuels. Les melodies ne sont pas touj ours très sophistiquées, mais leur attrait, me semble-t-il, reside dans l'enveloppe harmonique, rythmique et sonore (timbre) de l 'accompagnement instrumental.

Le style musical de la musique populaire subit les influences des musiques typiques d'ailleurs. Le musicien est réceptif a une somme d'idées de plus en plus large et cherche a en faire sa propre synthèse. Pourquoi pas? Et même tant mieux! N'est-ce pas la une forme intéressante d'adaptation a l'environnement? Pourtant, cela ne veut pas dire que cette musique soit plus valable que la musique folklorique. De nombreux exemples sont en effet peu enviables. On peut d'ailleurs noter que, malgré sa popularité, un style dit "Pop" finit par passer de mode; il est remplacé par un autre arrive avec le dernier groupe monte sur scene. Le Punk cédera sa place au New Wave qui lui-même sera remplacé par le Breaking. Contrairement a ce phénomène, d'une certaine facon, le folklore, lui, demeure. Nonobstant la place ombragée qu'il occupe au palmarès actuel, il est ancré en nous. A preuve, si vous partez a l'etranger, il sera l'un des cris de ralliement les plus sürs. C'est souvent par lui que vous reconnaItrez les vôtres, que vous afficherez votre identité. Et vous serez surpris d'apprendre que les chansons que vous chantez alors remontent a quelques siècles. Vous aurez le sentiment de faire partie d'une chaine, d'appartenir a une culture définie, a un peuple.

En considérant cet ouvrage comme materiel pedagogique, j'ai d'abord voulu me mettre dans la peau d'un jeune élève pour qui la chanson proposée est source d'intérët, d'enthousiasme et de créativité. Comme pedagogue, j'ai ensuite analyse les chansons dans la poursuite d'objectifs pedagogiques. Les termes utilisés au cours de cette presentation ne correspondent pas toujours a ceux qu'un folkloriste contemporain utiliserait. Ces chansons je les ai regroupés pour ma part en tenant compte des themes ou par genres. Je les ai regroupés pour ma part en tenant compte des themes inspires par les textes plutôt que par leur structure littéraire. Enfin, je veux informer sur la ressource de materiel pédagogique que sont les Chansons d'Acadie plutôt que de discuter de la valeur absolue d'un tel corpus.

Devant tout objectif pedagogique, une condition s'impose: les élèves doivent connaItre le plaisir d'apprendre et de faire de la musique en jouant, en chantant, en parlant et en dansant. Cela implique qu'ils la connaissent et qu'ils peuvent se reconnaItre en elle. Le choix d'une chanson dépendra de plusieurs éléments dont voici les principaux: le titre, le theme, le genre (danse, complainte, ballade, chanson humoristique, etc.), le mode, la tonalite, l'ambitus, la mesure, les formules rythmiques et mélodiques typiques, Ia forme. La compilation de ces é léments devrait permettre de trouver a quel niveau scolajre la chanson se rapporte le mieux, et aussi, de l'utiliser comme exemple de telle notion théorique ou pratique. Les notions théoriques concernent les questions de forme, de tonalité, de mode, d'harmonie, de rythme et de la durée, la texture et l'intensité. Les notions pratiques, elles, sont principalement du domaine de l'expérience. Elles se rapportent au développement de l'oreille, de celui de la voix, a l'habileté a organiser des sons et des rythmes entre eux et possiblement de le faire par le biais d'un instrument de musique. L'implication corporelle vient renforcer l'assimilation de ces notions.

Si l'on peut séparer notions théoriques et pratiques pour les expliquer, dans l'enseignement actif, elles sont inséparables et n'existent pas les unes sans les autres. Ceci dit, la chanson chantée a l'école peut servir a apprendre une ou plusieurs notions musicales certes, mais elle ne doit pas jouer un rOle pédagogique a tout prix. On peut chanter pour se faire plaisir, pour souligner un événement, pour raconter une histoire, etc. Mais qu'il s'agisse de chansons "pedagogiques" ou de chansons de "divertissement", l'habitude et le gout pour elles dépendront certainement de l'atmosphere et du contexte dans lesquels elles ont été apprises. Dans certains cas, le texte semble être le premier élément de référence. Pourtant, ii existe des chansons dont seule la mélodie pourrait assurer la survie.

Dans les Chansons d'Acadie, suivant les critères pedagogiques mentionnés ci-dessus, bon nombre de chansons peuvent être retenues entièrement (texte et mélodie): d'autres sont plus intéressantes par la mélodie que par le texte; enfin, vu le texte, la structure melodique, les intervalles ou le rythme, certaines chansons semblent plus ou moms adéquates pour la pédagogie musicale et devraient être mises de cOté.

Au cours des lignes qui suivent, je décrirai brièvement chacun des cahiers et donnerai des exemples des trois cas de chansons: retenues entièrement, partiellement et mises de côté.

La premiere série comprend vingt-six chansons dont les principaux themes se rapportent a la religion, a la guere, aux amours et amourettes, a la mort, aux sentiments et a l'argent. On y trouve en outre quatre chansons typiques du repertoire traditionnel enfantin. De ces chansons, j'en retiens seize a cause de l'intérêt suscité par le texte et la mélodie, et aussi a cause de l'ambitus acceptable.

Dans un premier groupe de chansons ou les melodies et les textes sont satisfaisants, je veux mentionner Le prince Eugene, belle ballade modale qui pourrait être chantée avec alternance de violon sur bourdon (superposition des premier et cinquième degres échelle mélodique) ou sur pé dale de tonique. Les chansons La boulangêre, C'est mon beau château, C'était une bergère et Malbrough sont fascinantes par les melodies peu courantes et bien construites. Entre deux chansons d"accroire", je choisirais Le vingt-cinq de mai qui comporte une mélodie plus simple et plus chantante que celle des Menteries. Cette dernière est plutôt surprenante dans son étrange modalité et sa coda tonale. Parmi les chansons d'amourettes, je retiens J'ai trop grand peur des loups, Je l'ai vu voler et Les amants séparés; enfin, dans les chansons de depart, Partons, la mer est belle qui depuis sa parution en 1942, a été reprise dans de nombreux recueils, en particulier dans ceux de La Bonne Chanson de l'abbé Gadbois.

Parmi les chansons dont la mélodie est plus appreciable que le texte, je note Pas de credit, air très joli en deux parties dont Ia premiere est tonale (majeure), et la seconde, modale (mineure suivant Ie mode de RE). Cette mélodie pourrait être jouée a la flute avec accompagnement de petite percussion (tambourin, cuiller, Os, etc.) comme musique de danse.

Dans le groupe de chansons mises de cOté, je veux souligner l'intérêt que suscitent les deux versions de La passion. Celles-ci m'apparaissent uniques en leur genre et pourraient être présentées aux jeunes comme pièce d'écoute a l'occasion de Pâques. Cependant, a cause du contexte socio-religieux actuel, il serait difficile et délicat de les faire apprendre aux enfants. Enfin, a cause d'un texte vieillot et parfois d'une mélodie peu captivante ou ayant des élans lyriques ambitieux, les titres suivants ne trouvent pas vraiment leur place en education musicale: L'amitié, Lorsqu'on aime, Les cloches du soir.

La seconde série réunit cinquante-et-une chansons dont les themes varies sont pratiquement aussi nombreux qu'il y a de titres. On peut cependant en regrouper quelques-uns sous les rubriques suivantes:

amourettes (frequentations, amours contrariées, désir, manage, bergerette), depart en mer, retour du fils, guerre, prière, lecon et pauvreté. Parmi ces chansons, Le pommier doux, Sur les bords du St-Laurent, Les moutons, Au chant de l'alouette, Le sergent, L 'escaouette, Wing tralala, Le vieux soldat, La perdriole, Je n 'ai plus d'amourettes semblent appropriées a l'éducation musicale. Les chansons sont bien construites du point de vue forme, lignes mélodiques et motifs rythmiques; les textes sont satisfaisants quant a leur contenu; et certains textes comprenent des onomatopées, ce qui est la plupart du temps attrayant pour l'enfant.

Une dizaine de chansons pourraient être exploitées du côté melodique comme musique narrative (au cours d'une histoire), musique de danse ou simple mClodie instrumentale. Tel serait le cas de La chanson de Ia mariée, Les mariniers, Par un dimanche au soir, Une tragique mascarade, L 'ivrogne con verti, La bergère délaissée. Finalement, quelques pièces semblent moms adequates pour l'éducation musicale. Par exemple, malgré son theme connu, a cause de l'ambitus, des grands sauts d'intervalles, Vous n 'savez pas me ferait choisir une autre version. Les amours retrouvées possède une forme a la fois insolite et intéressante (deux fois neuf mesures en 2/4), mais laisse hesitant a cause de la ligne mélodique même. Le long de la riviere comporte un rythme difficile et, malgré le theme classique du texte, Ia chanson n'est pas vraiment marquante. A cause d'une mélodie par trop morcelée, je laisse Le retour du soldat de côté; sur le méme theme, Nicolas comprend aussi une mèlodie difficile, même depouillée de ses ornements.

Quant au Retour de Simon, a L'orphelin du hameau et a Les enfants égares, les themes font en sorte que l'atmosphère de ces chansons est sombre et, autrement qu'en pièces d'audition, je n'en vois pas l'intérêt pour l'é cole. Les chansons Emma et Ivonne et Angélique comprennent des textes et des melodies plutot lyriques qui, a mon avis, conviennent plus ou moms au contexte scolaire.

La troisiême série des Chansons d'Acadie qui réunit cinquante chansons, apparaIt comme étant le plus scolaire de la collection. En effet, elle comprend une vingtaine de chansons connues et appartenant au repertoire enfantin traditionnel. Et il est remarquable de noter l'originalité des textes et des melodies qu'il apporte de cellesci. Par exemple, . Saulnierville est une amusante version en parodie du Navire merveilleux tandis que Lapoulette jaune évoque joliement la célèbre Poulette grise. Quant a La belle Fran coise, Pinson avec Cendrouille, Les enfants enté tés, Au marché, Derriere chez-nous, En montant Ia rivière, Quand j'étais chez mon père, Que sais-tu bien faire, Sur la montagne du lo up, Les trois canes, Mon petit marl et Monsieur le curé, elles sont autant de chansons intéressantes a cause de leur theme et de la particularité de leur mélodie. A ces titres, je veux ajouter Le depart de l'amant dont la mélodie modale (mode de LA avec emprunt au mode de RE) est exceptionnelle par l'équilibre de sa structure et la conduite de la phrase musicale.

Parmi les melodies a garder, Là-bas sur Ia montagne, Le peitit aveugle et Premiere deception sont les plus representatives. Au nombre des chansons moms intéressantes, a cause d'un texte soit moraliste ou peut-être vieillot, a cause d'une mélodie plus ou moms chantante, je remarque entre autres Adieu, Ecoutez, L 'enfant gâté, Je ne la connais pas, Loin de sa mere, La menteuse et Virginie.

La quatrième série, comprenant cinqunte chansons, est marquee par des themes qui se rapportent le plus souvent a la tristesse (depart du marin ou du soldat pour la guere, la vie de l'ivrogne, la femme trompée, l'enfant seul et I'ennui). On peut alors se douter que les textes ne correspondent pas exactement aux préocupations des enfants. Quelques titres sont pourtant a retenir: La batelière, Louisbourg, Le bonhomme tout rond, Passant par Paris, Fauxmanche, La canot d'écorce, L 'ivrogne, Monsieur King et Laperte du Foudrion. Plus nombreuses sont les melodies qui pourraient être jouées sur un instrument monodique ou au violon, et même accompagnées avec la percussion traditionnelle. Par exemple, Le penitent et l'ivrogne, Message a Ia belle au couvent et Le depart du marin pour Boston pourraient exploiter deux voix alternées suivant la structure de la mélodie. Les chansons Le marchand dupe, La Danaë, L 'amoureuse du soldat Jolicoeur et Le depart du marin et de la belle, toutes en mineur mélodique et/ou modal, possèdent un phrase et un équilibre rythmique intéressants. Ces airs pourraient être rajoutés au repertoire de violon scolaire et servir de musique de scene pour des histoires inventées a l'école. D'autres chansons retiennent mon attention plus par la mélodie que par le texte: Les amants malheureux, Napoleon, L 'ivrogne trompé, Le couteau vole et Rossignol du vert bocage.

Parmi les pièces non encore citées, il en est qui dénotent la passion de l'auteur qu'on ne saurait vraiment exploiter a l'heure de la musique en classe. Par exemple, Loin de sa mere, Les yeux noirs, Voila Ia recompense, La lettne de sang, Eloigné d'un coeur qu 'on aime, et Malvina ne semblent pas appropriées a la clientele scolaire.

La cinquième serie fourmille de riches melodies, en tout cinquante, ayant trait aux amours, aux frequentations, a la fidelité, aux relations amicales et familiales, au depart du marin pour Ia guerre et, d'une facon curieuse, au meurtre. Plus que dans les recueils precedents, les chansons dont la mélodie surpasse le texte sont nombreuses et remarquables; l'équilibre de leur courbe melodique est evident.

Alors que Le ving-et-un d'avnil, La maumariée, Fleun d'épine, Le depart du marin, La courte paille (très belle version du Petit navire), Christ ophe, La biche au parlement sont remarquables comme chansons entières, les titres suivants se distinguent par Ia beauté naturelle de leur mélodie: Sans amant, Pour son honneur gander (premiere version), . 'occasion man quée, Ma mie tant blanche, La belle Urie et son amant, Au jardin d'amour, L 'amant confesseur et Adieu pour toujours. D'autres chansons attirent l'attention comme pièces instrumentales a jouer par exemple a Ia flute a bee: La belle delaissée, La bergène et le seigneur, L 'ermite amoureux, Lafille d'un boulanger, Le galant repoussé, Nous voilâ manes et La vie du voyageur.

Enfin, vu le texte, vu la mélodie plus ou moms chantante, les titres suivants sont laisses de côté: Le chevalier a la claire épée (particulièrement macabre), Le bergen longtemps aimé, A vec lui seul, Depart pour Ia Californie, Ne t'en va pas, Mes projets d'avenir et Rappelle-toi ont une tendance au lyrisme qui s'écarte d'un caractère folklorique type.

En terminant cette description, je tiens a souligner l'intérêt des Chansons d'Acadie comme source importante de melodies modales. Nombreuses sont les chansons en mode mineur de LA et de RE entiers ou privés soit du IVième ou du VIième degre. Ces chansons sont particulièrement propices a la pratique de la monodie oü l'élaboration d'un accoinpagnement harmonique n'a pas vraiment lieu d'être. Le plus souvent, une pédale de tonique, un bourdon ou un bourdon "flottant" (bourdon dont l'une des notes alterne régulierement avec sa voisine immediate) suffisent et sont tout a fait du ressort du debutant. En outre, un accompagnement rythmique simple et coloré par ses timbres peut agrémenter la monodie originale.

Au sujet des rythmes, il est intéressant de noter que dans 57% des cas, les chansons sont en rythmes ternaires (l'unité de temps se partage en trois, ex: ddd ). Les mesures sont alors marquees 3/8, 6/8, ou 9/8. (Cela aurait-il quelque chose a voir avec nos toutes premieres experiences rythmiques de balancement qui caractérisent si bien les berceuses? En improvisation, la mesure 6/8 est particulièrement propice au développement des premieres melodies).

Dans les autres cas, les mesures sont binaires (l'unité de temps se partage en deux, ex. ), presque toujours en 2/4 ou mixées avec des mesures en 3/4. Seulement quatre chansons sont entièrement designées 3/4. Mais de celles-la, deux semblent être réellement en 3/4: vol. 3, p. 13 La nidenne (avec ajout d'une mesure 3/4 a la coda); et vol. 5, p. 40 Au jardin d'amour, chanson modale dont Ia courbe melodique est bien équilibree mais porte a équivoque. On pourrait la chanter en 6/8, ou mieux encore, en suivant le phrase naturel de la mélodie sans la mesurer strictement.

Ce sujet de mesures ambivalentes m'amène a commenter la technique de transcription des chansons en général. Car, en parcourant les cahiers, on se trouve souvent devant des dilemmes poses par la notation melodique et rythmique de même que par I'indication tonale (armature) et métnique.

La Notation Musicale Des Chansons

A priori, Ia notation melodique est bien accessible tout au long du corpus. Pourtant, un detail fait que la lecture est frequemment rebutante: visuellement, la repartition des temps n'est pas facile a discerner. En effet, bien qu'il soit de mise chez les folkloristes de separer les notes les unes des autres suivant les syllabes, il serait plus pratique pour lecteur de trouver une notation qui favorise la distinction rapide des temps par notes regroupées au lieu de Les signes de liaison et de coulée

pourraient, de toute facon, indiquer les glissements melodiques de la voix sur une même syllabe. Il serait en outre utile de pouvoir retracer rapidement la forme d'une chanson en repérant les phrases musicales indiquees par des courbes conventionelles de phrase Dans un ouvrage pédagogique fait a partir de chansons folkloriques, J. Ribière-Raverlat (1) a utilisé le changement systématique de portée pour chaque nouvelle phrase mélodique. Cela permet de saisir aisément la structure des chansons et d'acquérir ainsi une notion musicale de premiere importance: celle de la forme.

La question de la notation rythmique est plus delicate a traiter en ce qu'elle exige une objectivité dont les limites sont difficiles a determiner. Sur un total de 227 chansons, 79 contiennent des mesures mixtes: 6/8, 3/8, 9/8; 1/4, 2/4, 3/4; etc.: les indications de mesures suivent l'accent tonique du texte. Pourtant, malgré une logique apparente, cette méthode soulève la question de la transcription absolue des chansons folkloriques, et peut-être, les accents et les rythmes inégaux particuliers a la langue francaise y sont-ils pour quelque chose. En effet, si les vers d'une poésie populaire peuvent être bien mesurés, il arrive aussi que le rythme des mots d'une chanson atténue la rigueur d'une mesure donnée. La mélodie se partage alors en parties plus ou moms egales. Dans ce cas, on peut parler de mesure libre en opposition a une mesure métnique typée. En outre, on peut penser que Ia melodie et le rythme d'une chanson varient quelque peu, d'un interprète a l'autre. Comment pouvons-nous alors arriver a une moyenne? On peut se demander si vouloir normaliser la mesure est une facon d'entraver I'aspect folklorisant d'une chanson. Et pourquoi tenir a telle ou telle version? Il faut bien une facon de faire passer la chanson; si ce n'est pas par l'audition cc sera par Ia notation.

En education musicale, on aborde bien entendu le sujet des mesures et des rythmes assymétniques ou alternées. Cependant, pour retenir l'attention, il faut que ces particulanites musicales contrasent avec la régulanité d'une mesure ou bien qu'elles caracterisent la regularité même de la mesure. Citons pan exemple la chanson de Monsieur King (vol.4, p. 30) qui est construite suivant une alternance regulière des mesures 9/8 et 6/8. A la limite, on pourrait s'attendre a cc que l'indication de ces mesures figure au debut de la pièce (9/8, 6/8, 6/8, 9/8) (2). Cependant, si l'alternance n'était pas absolument reguliere, il faudrait que les changements de mesures soient indiqués au cours de la partition, et non pas au debut comme c'est le cas pour de nombreuses chansons de l'ouvrage qui nous intèresse ici (cx.: dans la volume 4, p. 8 Le couteau vole, on trouve 6/8, 9/8 même si les mesures n'alternent pas régulièrement; il en est de même pour Le retour dufils p. 52, et pour Eloigne d'un coeur qu'on aime p. 57, ou l'on trouve en tête de partition les indications 3/8, 6/8 etc.

Outre ces quelques exemples, les Chansons d'Acadie comprennent plusieurs melodies qui témoignent d'une métrique nettement irrèguliere ou alternée: ex. vol 3, p. 3 Lâ-bas sun la montagne, p. 26 La belle Francoise, et p. 27 Dextra. Par ailleurs, d'autres chansons semblent avoir une alternance métrique qui pourrait être recupérée en une seule indication de mesure. Par exemple, vol. 1, p. 7 Le vingtcinq de mai pourrait être signé 2/4 tout au long. De même en est-il pour Je l'ai vu voler vol. 1, p. 20 on les mesures 7 et 9 seraient integrées a la mesure 8, régularisant ainsi l'indication 3/4; dans le même cahier, p. 17, Malbrough comprend a la mesure 5 un premier temps inattendu. On pourrait penser qu'il s'agit d'une hesitation de l'interprète car la mesure qui suit est amorcée par la continuation de la dernière note de la mesure précédente sans attaque dans une descente en . Supposant que cc soit les cas, les mesures 3, 4 et 5 pourraient être reunies en deux mesures 2/4 sans pour autant bouleverser la métrique naturelle de la melodic.

Un examen approfondi d'une soixantaine d'autres chansons nous amènerait éventuellement a reconsidérer le regroupement des temps en mesures règulières, systèmatiquement alternèes ou même en mesures libres. Dans cc dernier cas, l'irregularité des accents métriques des chansons suscite l'idée de phrases mélodiques menées suivant la dynamique du texte parlé.

Cette idée de mesures Iibres n'est pas étrangère a la pratique musicale a I'école. En effet, il est courant de se servir d'une poésie ou d'un texte comme sujet de récitatifs ou de melodies en phrases libres. L'improvisation d'un support instrumental suit alors I'accent naturel de la langue et n'est pas forcément régulier. Le volume 5 comprend quelques-unes de ces chansons: p. 3, Le chevalier a la claire épée; p. 10, L'amant confesseur; p. 13, Le galant et la belle monte; p. 28, La fille d'un boulanger; p. 30, Ma mie tant blanche (version 2); p. 33, Adieu pour toujours; p. 35, Retour du man soldat; p. 40, Au jardin d'amour; p. 56, Pour son honneur garden.

Un dernier aspect de la notation musicale suscite aussi quelques remarques. Il s'agit de l'armature indiquant la tonalité des chansons. Lorsque la chanson est heptatonique (possède une échelle melodique de sept notes) et en mode majeur ou mineur harmonique (3), aucun problème ne se pose. L'indication conventionnelle du nombre des dièses (no.) et des bémols (b) est suivie. Par contre, dans le cas oü la chanson est modale, suivant le mode de RE dont le Vlième degre est altéré (hausse de 1/2 ton) en tonalité bémole (cx.: La en Do mineur), une certaine confusion est amènée par l'absence de cc Vlième degre a l'armature. En effet, voyant Si b et Mi b a la clé, il est dans les conventions de penser que la chanson sera en Si b maj cur ou en Sol mineur. Cela n'est pas toujours le cas ici. Ex.: vol. 1, p. 20 Je l'ai vu volen est en Fa mineur avec indication de trois bémols (Si, Mi, La); vol. 3, p. 26 La belle Fran coise est en Sol mineur avec indication d'un seul bémol (Si). Cette technique n'est pourtant pas toujours suivie. Par cxemple, vol. 4, p. 14 Le depart pour les Etas est en Do mineur (hexatonique sans Vlième degre) et comporte trois bémols a la clé. Cette dernièrte facon de faire semble plus appropniée. Elle facilite l'examen rapide de l'aspect modal ou tonal de Ia chanson. La transposition du mode de RE en tonaliés mineures dièsées ne soulève aucune hesitation puisque le Vlième degré altéré ne figure pas dans l'armature de la tonique relative majeure.

Avant de clore cette analyse, je veux dire quelqucs mots sur la presentation matérielle de l'ouvrage entier. Un tableau comparatif montrant les notes d'évaluation des volumes permet un coup d'oeil rapide sur les points suivants: illustration de la couverture, illustration des chansons, couleur de l'impression, densité du caractère de l'impression.

Vol. 1 Vol. 2 Vol. 3 Vol. 4 Vol. 5

Illustration /couverture: B B A B + C

Ilustration/chansons: C B A

Couleur/impression: B A A B A

Densité/caractère: B B A B + A

Le format des cahiers m'apparaît excellent.

Conclusion

La critique des Chansons d'Acadie devait tenir compte de facteurs ayant trait a la qualité d'un materiel pedagogique ideal aussi bien qu'a la nature folklorique même de ces chansons. Tel que prévu, les commentaires ont principalement porte sun la consideration du corpus comme ressource pedagogique, d'où le type dc preoccupations relatives a Ia forme, au contenu, au contexte, a Ia notation melodique et rythmique, et a Ia presentation matérielle des chansons.

En traçant le bilan de l'analyse, on se rend comptc que les Chansons d'Acadie constituent une source inestimable de sujets pedagogiques. Premièrement, a cause de leur nature folklorique, elles représentent très souvent des models "naturels" de formes musicales simples et equilibrées. A travers elles, il est possible de saisir les notions élémentaires essentielles a la construction d'une solide connaissancc musicale. Deuxièmement, elles permettent de reproduire et de continuer une forme d'expression artistique propre au peuple en dévoilant des valeurs typiques d'une region, d'unc culture.

Les questions de clanté de presentation, de facilité d'analysc, de classification tonale, modale, de genre, etc. font partie des preoccupation quotidiennes du professeur de musique. Si les éléments musicaux ou les themes relatifs au sujet de la semaine ne sont pas aisément dècelables, les ressources dissimulées dans un ouvrage risquent d'y rester. En effet, le temps requis par l'analyse et la recherche dépasse la réalitè temporcile de disponibilite dont jouit un professeur de musique. Et vu la nature des ouvrages et des recueils de données folkloriques, les aspects pedagogiques du matérial musical ne sont pas toujour évidents. Certes, le folkloriste a accompli sa tâche. Reste celle du pedagogue a faire.

La collection des auteurs Chiasson et Boudreau est de toute evidence propice au développement de materiel pédagogique. Un classification selon des critères spécifiques tels que: Ia forme, le mode, le theme ou le genre pourrait déjà favoriser la pratique des chansons a l'écolc. En outre, en destinant telle ou telle melodic a un, deux ou trois instruments, il serait aisé de donner accés a un nouveau repertoire. Aussi, en joignant des commentaires sur l'origine et le contexte original des chansons, l'espnit ou peut-être Ia fonction de celles-ci pourraient être rappelés et donner ainsi plus de valcur a Ia pratique des chansons mêmes. Enfin, quelques idèes d'accompagnement harmonique ou rythmique élémentaire pourraient apporter une couleur pittoresquc cet heritage musical.

Ces suggestions se veulent constructives, et me donnent personnellement le gout de pousser plus loin cette accointance nouvelle que je viens d'avoir avec les Chansons d'Acadie.

Notes

1. Ribière-Raverlat, Jacotte, Un chemin pedagogique en passant par les chansons. Tomes 1, 2, 3, 4. Paris, Ed. Leduc, 1979.

2. En effet, en revisant les accent melodiques, on trouve cette succession régulière des mesures.

3. Il s'agit des modes majeurs et mineurs "modernes" ayant la gamme de Do et sa relative mineure (avec sensible) comme modèles.

Abstract: Fran coise Grenier's article is a careful analysis of the five volumes of Chansons d'Acadie to show their importance as educational source material. In discussing their texts, melodies, and rhythms she throws light on the whole subject of music in the schools.