Canadian Journal for Traditional Music (1983)

Trois Ouvrages Majeurs sur la Chanson Traditionnelle

Edith Fowke

Au Canada-francais, il se publie beaucoup d'ouvrages sur la chanson folklorique comparativement a ailleurs. L'une n'attend pas l'autre comme le dit l'expression populaire. Ces deux dernieres années, nous avons vu la parution d'oeuvres majeures dont trois parmi les plus importantes sont commentées ici. Chacune, a leur manière respective, marque un pas dans ce domaine de recherche.

Conrad Laforte, en plus d'avoir ajouté un nouveau tome a son Catalogue, le troisiéme consacre aux Chansons en forme de dialogue (voir le Bulletin Vol. 17, No. 2, avril 1983, p. 33), nous a nourri de son vaste savoir par son livre Survivancesmédiévalesdans la chansonfolklorique, poétique de Ia chanson en laisse. Il s'agit de l'aboutissement d'une longue réflexion menée au cours de plus de trente années de recherches intensives, sur un type de chanson folklorique dont les structures complexes sont fort anciennes. Pour sa part Madeleine Béland, avec ses Chansons de voyageurs, forestiers et coureurs des bois, devient l'une des pionnières dans les etudes sur les chansons de composition locale. Enfin, une oeuvre posthume de Marius Barbeau, En roulant ma boule, qui fait suite au recueil Le Rossignoly chante. Il s'agit de la première de plusieurs publications commémorant les centenaire de Ia naissance de ce grand maître.

Donald Deschênes

Marius Bãrbeau. En roulant ma boule. Deuxiêmepartie du repertoire de la chansonfolkloriquefrancaise au Canada.

Présenté par Lucien Ouellet. (Ottawa), Musées nationaux du Canada, Musée national de l'homme (c 1982). 753 pp., musique, photos.

Attendu et souhaité depuis de nombreuses années, voilàque vient de paraItre enfin la suite du Rossignol y chante, En roulant ma boule. Déjà prêt pour l'édition en 1960, une partie du manuscrit était restée introuvable. Ce n'est que tout récemment qu'il fut possible a Renée Landry, archiviste au CCECT, d'en rassembler les composantes et d'entreprendre la reconstitution. De plus, Lucien Ouellet effectua la verification systématique des textes et Carmelle Begin celle des transcriptions musicales, en plus de faire les relevés musicaux manquants.

Il s'agit d'une oeuvre volumineuse de plus de 753 pages qui rassemble quelques 199 chansons traditionnelles canadiennes-francaises présentées en 277 numéros. Sous ce titre, Marius Barbeau a voulu y regrouper les chansons de voyageur, les chansons de métier, les rondes et chansons enfantives, les berceuses, les chansons énumératives et les chansons a dialogue. On retrouve parmi les chansons de voyageur les onze chansons de la célébre collection

Ermatinger qui furent recueillies vers 1820; celles sont très certainement les premieres chansons traditionnelles canadiennes-francaises a avoir été relevées. D'autre part, Ia collection de chansons enfantines, rondes et berceuses, est fort impressionnante tant par la qualité que par la diversité.

Tous ces chants et commentaires de M. Barbeau plongent le lecteur dans un atmosphere envoutant, même si pour celui-ci, Ia lecture d'un tel ouvrage peut lui paraître par moment ardue.

Comme ii s'agit d'une anthologie, dont le Rossignoly chante et En roulant ma boule forment les deux premiers volets, nous ne serons pas surpris d'y retrouver bon nombre de chansons déjà parues dans le JAF, le Romancero du Canada ou Alouette, lesquelles furent reprises par tout un chacun dans d'innombrables recueils et une kyrielle d'interprétes folkloriques. Mentionnons des titres tels que La destinée, la rose au bois, Je le mène bien mon dévidoir, Mon merle, Le lendemain queje me suis marié et plusieurs autres. Comme dans le Rossignol, ces chansons furent regroupées tantôt par la fonction, tantôt par la forme: chants anciens de voyageurs, refrains de métier, fredons de danse, rondes, berceuses, merveilles et mensonges, rengaines, chansons a répons et débats. N'ayant que rarement une presentation aux rubriques, ces regroupements n'apparaissent pas toujours évidents et certains titres ne sont pas toujours adéquats: par exemple,fredon qui estun terme qui n'a pas de sens précis puisqu'il désigne tout simplement une roulade, un gai refrain, sans plus; même chose pour rengaine qui dénomme les chansons énumératives.

Ce manque de precision peut déranger le folkloriste d'aujourd'hui et ne pas guider l'amateur. On n'y trouve aucune definition, peu de distinction entre les categories. Ainsi, deux chansons apparaissent a la fois dans les chansons de voyageur et dans les refrains de métier (Hier au soir, j'ai été danse (nos 44 et 101) et Enrevenant de St-André (nos 25 et 74)). De plus, a plusieurs reprises, une même chanson se retrouve sous plusieurs titres et plusieurs numéros, ce qui est parfois déroutant, comme c'est le cas de la chanson Les noces de Pinson et l'alouette qui apparalt en douze versions sous dix titres et numéros différents. Enfin, nous avons relevé six pièces qui apparaissent a la fois dans le Rossignol et dans En roulant ma boule dont Le plongeur noyé qui, aux deux endroits, possède le méme texte, des références au même enregistrement mais un relevé musical tout a fait different!

Comme l'a déjà fait remarquè Robert Bouthillierdans un compte rendu du Rossignol (dans Recherches sociographiques), "l'aspect documentaire l'emporte de beaucoup sur sa démarche analytique." Les commentaires de Barbeau, tout en voulant être accessibles au plus grand nombre, et nous devons reconnaItre là sa grande qualité de communicateur, pêchent parfois par un peu de gratuité et sont souvent "appuyès sur des observations fragmentaires, sur des jugements historiques hasardeux et une documentation ancienne, non revouvellée" (Bouthillier). D'ailleurs, comme le mentionne Lucien Ouellet dans sa presentation, "Comme il en est de la plupart des auteurs prolifiques, Marius Barbeau rédigeait son texte tout d'un trait, réservant au moment de la publication le travail de finition. Ses manuscrits comportent done bon nombre de phrases en style télégraphique, de citations approximatives et même quelques irrégularités et imprécisions dans la presentation des documents." (xxi) L. Oullet a entrepris un travail titanique en voulant preserver a l'oeuvre sa "saveur" originale" sans jamais se substituer a l'auteur. Ce ne fut pas là une mince tâche. Comme M. Barbeau cherchait a presenter des textes de chanson "améliorés," Lucien Ouellet a dü faire un minutieux travail d'éclaircissement où il a trés bien précisé les "textes moyens" (textes établis a partir de plusieurs versions) et les "versions esthétiques" (textes remaniés plus ou moms en profondeur par l'auteur). Ainsi, l'ouvrage y gagne beau-coup en claireté et en precision.

Mais il faut l'avouer, il s'agit d'une oeuvre inachevée, incomplete qui nous est laissèe par Barbeau. D'avoir voulu preserver àtout prix "la saveur originale du manuscrit" ne fut probablement pas la meilleure voie a suivre. Le résultat en est qu'à sa parution, cet ouvrage, malagré son extraordinaire contenu, est déjà vieux de vingt ans. Ce ne fut de la part de Lucien Ouellet qu'un travail de restauration. Vu l'importance du document, il y avait plus a faire, soit le completer et l'actualiser. En noulant ma boule est un ouvrage important pour l'étude de la chanson traditionnelle francaise. En ce sells, ce repertoire aurait dû être accessible dans sa forme la plus claire sans les imprécisions que l'auteur n'a pas eu la possibilité de corriger.

ca aurait étè lui rendre tout l'hommage qui lui ètait dû de laisser a l'équipe qui a prepare la présente edition toute la latitude nécessaire afin d'en faire un ouvrage de conception et de dimension plus contemporaine. De sa tombe, M. Barbeau n'aurait-il pas apprécié que les plus jeunes complétent ce qu'il n'a pas eu le temps de terminer lui-même au lieu de laisser paraître des travaux incomplets. Il en va du renom méme de M. Barbeau et du Musée national de l'homme.

Pour ce qui est de l'édition, le Musee national a fait un travail plus que soigné. D'autre part, n'eut-il pas étè preferable d'avoir une calligraphie musicale en caractére d'imprimerie. Les calligraphies de la main de M. Barbeau, aussi intéressantes soient-elles, ne sont pas touj ours facile a lire par les personnes a la vue déficiente.

Enfin, il est done heureux qu'à l'occasion du centenaire de la naissance de M. Barbeau que le Musée national rende accessible différents travaux inédits de ce maItre, dont ce recueil. Il semblerait que le plus intéressant est a venir. Le roi boit, le troisiéme tome de ce Repertoire de Ia chanson francaise au Canada, est actuellement en preparation; il est a espérer qu'on verra a réorienter le tir.

Donald Deschênes

Madeleine Béland. Chansons de voyageurs, coureurs de bois et forestiers. Québec: Les Presses de l'université Laval, 1982. 432 pp., musique (Collection Ethnologie du l'Amerique francaise).'

Traditional songs are aural documents of people's lives. The words and tunes contain evidence of a community's occupations, cultural origins, social life, environment, and beliefs. That is one of the major reasons I am interested in traditional songs. It was therefore with pleasure and anticipation that I took on the task of reviewing this book.

The cover attracted me immediately. On the front is a print of a nineteenth-century lithograph of a raft of logs on the St. Lawrence River. The back cover is a reproduction of a Frances Hopkins painting of a brigade of canoes on Lake Superior. Both pictures have a depth to them, they draw the viewer into their world. This is exactly what the book itself does. It draws the reader into the world of the voyageurs.2

In her preface, Madeleine Béland notes that:

In the minds of most people in this province, (our oral traditions) originated in ancient France and were transplanted and continued to survive in the adopted country. But traditional songs not only survived, they also evolved and adapted to the new ways of life. . . . Our curiosity pushed us to seek which of (these) songs portrayed the lives and feelings of (the voyageurs) who were considered legendary heroes and who played a crucial role in the development of the country at each period of its history. We have therefore attempted a complete examination of the songs of the voyageurs. (from the preface)

This "complete examination" concerns itself primarily with the texts of the songs as aural histories of the lives of the voyageurs. In fact the first half of the book, "La vie des voyageurs," is an exploration of the various aspects of the voyageurs' lives as communicated in their songs. The second half of the book is a collection of 91 voyageur songs.

La Vie Des Voyageurs

"La vie des voyageurs" is divided into three chapters, each dealig with a stage in the working life of a voyageur: "L'engagement et le voyage" (The Hiring and the Trip), "La vie dans les bois ou les chantiers" (Life in the Woods or in the Logging Camps), and"Le retour" (The Return). Within each chapter are subsections detailing the various aspects of each stage. The chapter on returning home, for example, contains details about "waiting for the return," "the anticipated pleasures," "deceptions" (by sweethearts or bosses), "alcohol," "love and relationships to women," and "voyageurs and farmers." Madeleine Béland integrates information on the lives of the voyageurs of the fur trade and those of the lumber industry. It makes perfect historical sense to do so. The decline of the fur trade during the first half of the nineteenth century corresponded with the growth of the forest industry in Quebec. As jobs in the fur trade diminished, many coureurs de bois became loggers:

Although the nature of the work (in the forest industry) differed completely, the same' "esprit" existed and the same name, "voyageurs," was applied to the loggers. . . . Throughout this history, this name will apply to nomadic workers as opposed to peasants, colonists, farmers — called "habitants" — whose lives are stationary. (p. 3)

The "La vie des voyageurs" section is a story told by two narrators: Madeleine Béland and the voyageurs themselves. Béland describes and discusses an aspect of the voyageurs' lives. She rarely continues for more than a few sentences before allowing the voyageurs to speak for themselves through their songs. Béland's skill in putting together this section is that she uses song texts as part of the narrative rather than as illustrations of a point she has already made. The song excerpts move the story forward and many pages contain more song excerpts than they do Béland's prose. Occasionally she includes a few sentences from written historical sources, but she does this only when she wants to "support or fill out themes which are under-represented in the songs." (p. 4) Her intent is that the voyageurs tell their own story.

There is almost no aspect of voyageurs' lives that is not expressed in song. One of the most moving sections of the first part of the book is that on "L'ennui" (an untranslatable term that can mean anything from boredom to longing, loneliness or weariness). The loggers were away from home throughout the long winter and the coureurs de bois could be away for as long as two years at a time. Their work was monotonous, their bodies were abused by hard work and poor living conditions, and they were far from their loved ones. Judging by the number and variety of songs on the subject, the voyageurs never got used to their ennui:

Petit oiseau que tu es heureux (Little bird how happy you are
De voltiger là oü tu veux. To fly where you want to
Oh! si j'avais ton avantage Oh! if I could do so
De pouvoir prendre ma volée, If I could take flight,
Sur les genous de la belle I would come to rest
J'irais m'y reposer. (p. 89) On the knees of my loved one.)
J'ai-t-un de mes confreres qui me fait enrager.
Quand ii pense a sa blonde, ii ne fait que pleurer. (p. 90)
(One of my comrades makes me mad.
When he thinks of his sweetheart he does nothing but cry.)
Many were so overcome that they "jumped" camp:
C'est Jos Francoeur, s'ennui beaucoup,
S'ennuie beaucoup de son p'tit chou.
Que le diable emporte la cabane!
Pour moi, je'm'en vas voir ma p'tite femme. (p. 90)
(Jos Francoeur was so full of ennui,
He missed his little cabbage (sweetheart).
The devil take him from the cabin!
Me, I'm leaving to see my little wife.)
N'y a que de l'ennui (Nothing but ennui
(. . .) I'm never coming back here
Jamais plus je n'irai To this damned country
Dans ces pays damnés, To do nothing but
Pour tant m'y ennuyer. (p. 90) Be filled with ennui.)
It is partly because of this ennui that there is such a wealth of music and songs:
A danser tous les soirs pour se désennuyer. (p. 91)
(We dance every night to get rid of our ennui.)
Qui c'qu'a compose la chanson, c'était un homme ah! du chantier,
Le soir au son de la musique, c'était pour se désennuyer. (p. 91)
(He who composed this song was a logger
In the evening he makes music to get rid of ennui.)

All of the songs in this book are in Conrad Laforte's Catalogue de la chanson folklorique francaise II: Chansons strophiques. Every song excerpt quoted in "La vie des voyageurs" is followed by reference numbers corresponding to the song's place in the Catalogue. I would also like to have seen references to the song's place in this book so that readers who wish to could refer to the entire song as they read the first part of the book.

The Songs

Madeleine Béland has presented the ninety-one songs in this collection according to the stages of the voyageurs' lives they present. The beginning contains songs of departure: "Le Depart pour le bois carré," "Les Voyageurs sont tous rassemblés," "Le Depart pour les chantiers des hauts d'Ottawa." Next come songs of life in the woods: "Dans les chantier nous hivernerons," "La Misère dans les chantiers," "Le Chantier au lac Noir," as well as songs about accidents, illness, and ennui: "La Nostalgie de l'engagé," "Le Frére mort de la fiévre," "Le Bücheron écrasé par un arbre," followed by songs of the logdrive and homecoming: "Le Retour des chantiers," "Le Retour du voyageur," "La Drave au Vermillon," "Les Draveurs de la Gatineau." The order of the songs correspond roughly with the stages of voyageurs' lives described in "La vie des voyageurs." Only 6 of the 91 songs come from the coureurs-debois. The passage of time between the height of the fur trade and the first song collecting means that many of the coureurs-de-bois songs have been lost.

Some of the songs are presented in several variants. At the end of each song is information on where, when, from whom and by whom the song was collected, in which collection it can be found (the collections are listed at the back of the book) and the total number of known variants. Because many songs are found only in manuscript or some old field recordings are at times unaudible, several songs are published without musical transcriptions. There are a small number of transcriptional errors. Some of the songs have extensive footnotes on regional variations of the song and consequent differences in text.

The back of the book contains a classification of the songs according to their subject ("Coureurs de bois et voyageurs des pays d'en haut," "Chantiers forestiers (général)," "Bücherons," etc.), a glossary of voyageur terms contained in the songs, a bibliography of song collections, books, and papers, and a song-title index. The glossary of voyageur terms contains many English words ("beans," "black hole," "jumper," "raft," etc.). Judging by the names of people mentioned (particularly bosses), French-speaking loggers worked for and with English-speaking Joggers. Béland does not discuss this biculturalism and its effect on the lives and songs of the voyageurs. It is a subject in which I have long been interested (particularly with regard to its effect on Quebec traditional music) and I wish she had said more about it. I could also not discover Béland's criteria for choosing the particular versions of the songs she includes in the collection. Are they the most complete/representative! singable versions? She does not say.

As I read this book I tried to determine who it was aimed at. It is at once an aural history of the lives of the voyageurs as well as an examination of their songs from a folklorist's point of view. As a singer, an educator, and someone who is more than marginally interested in folk music, I found that it contained more information than I needed. In English Canada the readership for a book of this depth would be no more than a handful of people. I would be very interested in the size of its potential readership in Quebec. If, as I suspect, it is substantially larger than that of English Canada, then we are truly "deux nations" when it comes to an awareness of our indigenous traditional music.

Rika Ruebsaat

Notes

1. This book is entirely in French. Al! passages artd song excerpts qnoted itt this review have been translated by me (Rika Ruebsaat). Song translations are literal and do not follow the rhythm or rhyme scheme of the origittal Frencit.

2. To anglophones the svord "voyageur" refers to the workers svho paddled and portaged their tray across tlte contttry dttring the fur trade. In Frenclt Canada the term applies to both the travellers of t!te fttr trade tlte "Coureurs de bois' or ''voyagettrs des pays d'en taut'' and to loggers ("forestiers,'' bOcherotts'') who travelled ttpstreatn to the woods where they worked.

Conrad Laforte. Survivances médiévales dans la chanson folklorique. Poétique de la chanson en laisse.

Québec: Les Presses de l'université Laval, 1981. 300 pp.

Conrad Laforte nous présente dans sa derniére publication une brillante étude sur les chansons en laisse, une catégorie fort importante du vaste repertoire de la chanson traditionnelle francaise. C'est un ouvrage d'une grande rigueur scientifique qui fut présenté comme these de doctorat au département d'histoire de l'université Laval oü Conrad Laforte est depuis longtemps chercheur et professeur.

Conrad Laforte s'intéresse a l'étude de la chanson folklorique francaise depuis 1953. Les publications qu'il a fait paraItre sur le sujet depuis 1958 sont bien connues de tous ceux qui s'intéressent d'une facon ou d'une autre a l'étude de la chanson folklorique de tradition francaise. Son Catalogue de Ia chansonfolkloriquefrancaise (1958) a grandement contribué a mettre de l'ordre dans les nombreuses collections de chansons conservées dans les diverses archives du pays, et a en encourager l'étude.

Pour faire suite a son essai sur Ia classification de la chanson folklorique francaise, PoEtiques de Ia chanson traditionnellefrancaise (1976), Laforte nous arrive avec une étude détaillée et poussée d'un de ces groupes de chansons identifies dans sa classification: les chansons en laisse.

Quelles sont exactement ces chansons en laisse? Ce sont, grosso modo, ces airs communément désignés au Canada "chansons a répondre". Ce sont, en fait, ces chansons généralement a refrain dont la forme fondamentale est la laisse, soit une série de vers isométriques monoassonancés. Cette laisse n'est cependant pas toujours évidente, du moms pas au premier coup d'oeil (ou d'oreille!) car le refrain la camoufle souvent. Quelques exemples de chansons en laisse bien connues sont Trois beaux canards (vers de 8 pieds assonancés en "an") et . la claire fontaine (vers de 12 pieds assonancés en "é").

Comme l'announce bien le titre du livre, l'auteur veut démontrer que ce genre de chansons populaires a des racines médiévales. Pour ce faire, il s'emploie a une analyse méticuleuse de la versification, des themes et des motifs de ces chansons.

L'analyse des formules strophiques occupe une place importante dans la premiere partie de l'ouvrage. Bien que d'une lecture plutôt aride par la longue énumération des multiples formules strophiques propres a cette categories de chansons, cette section demeure très intéressante, voire fâscinante. On reste tout a fait étonné devant la complexité de la structure de ces chansons qui, au premier abord, semble être tellement simple, même artisanale, aux yeux d'un non initié. L'auteur réussit bien, a mon avis, a démontrer l'origine médiévale de certaines de ces strophes, notamment celles dont la forme est exactement Ia même que les rondeaux du XIIIe siécle.

La deuxième partie est consacrée a l'étude de la thématique littéraire. Cette étude saura intéresser vivement plus d'un lecteur qui s'est souvent interrogé sur la vraie signification de toutes ces petites histoires d'apparence plus ou moms inoffensives contenues dans toutes ces belles chansons. On restera peut-être surpris en apprenant que le grand nombre de ces refrains contiennent des éléments érotiques, ou du moms en contenaient a l'origine. Le côté grivois de ces chansons n'est, en fait, pas toujours evident, simplement parce que les unes ont subi la censure des chanteurs au cours des siècles, ou encore parce que la signification moyenâgeuse de certaines expressions nous échappe. Ces explications (ou ces révélations), nous les trouvons surtout dans les chapitre oü l'auteur discute de la symbolique médiévale des motifs communs a ce genre de chansons, tels le bouquet, le rossignol, la fontaine, les bergers et bergères, et enfin la malmariée.

Notons aussi qu'au debut de Ia deuxiéme tranche de son essai, Conrad Laforte propose une méthode originale d'étude comparée et d'analyse du scenario des chansons en laisse. Remarquons que cette méthode est analoque a celle dont les folkloristes Delarue et Lacourcière, entre autres, se sont servi dans leurs etudes comparées du conte traditionnel.

Les derniers chapitres de l'ouvrage se lisent beaucoup plus facilement que certaines sections de la premiere partie. A cela j'ajouterai toutefois que l'abondance de citations de textes en ancien francais (ce qui s'avére nécessaire vu la nature de l'étude), gene quelque peu la lecture a celui qui, tout comme moi, n'est pas initié a cette forme primitive du francais écrit. Mais heureusement, Conrad Laforte écrit dans un style clair et agréable et ses explications sont suffisantes de sorte que le lecteur ne perd pas tellement du contenu même s'il n'arrive pas a déchiffrer mot pour mot toutes les citations des anciens textes.

L'ampleur des recherches de Conrad Laforte est bien évidente tout au long de son ouvrage. Seul un chercheur qui connaIt aussi profondément le repertoire de Ia chanson traditionnelle francaise et la poésie médiévale a pu mener a bien une telle étude et parler avec autant d'autorité sur le sujet. En definitive, l'étude de Laforte n'est pas le fruit de quelques bréves années d'études; il s'agit plutôt d'un travail de trés longue haleine amorcé voila presque trente ans. Son oeuvre va certainement suscité beaucoup d'intérét dans les rechekhes sur la chanson folklorique et sans doute tout autant chez les médiévistes.

Je n'hésite pas a recommander cet ouvrage savant a tous ceux qui s'intéressent a la chanson folkiorique, ou encore a toute personne désireuse de s'instruire dans la poésie orale de tradition francaise. Et, avec l'auteur, je souhaite ardemment qu'il y ait bientôt des chercheurs qui entreprendront des etudes aussi poussées sur les autres categories qui composent le presqu'inépuisable repertoire de Ia chanson traditionnelle francaise, et ce, afin que nous puissions davantage mieux apprécier la richesse de notre littérature orale.

Georges Arsenault