Canadian Journal for Traditional Music (1981)

Les Chansons Acadiennes de Composition Locale

Georges Arsenault

Si la communauté acadienne de l'Ile-du-Prince-Edouard n'a fourni qu'un nombre infirme de littérateurs, en revanche elle peut s'enorgueillir d'avoir produit au cours des siècles une pléiade de poètes populaires. Ceux-ci ont compose et chanté a leur maniêre une quantité de chansons sur des sujets les plus divers. De ces compositions se dégagent bien des traits du caractère acadien tels un sens d'humour raffiné, un attachement profond a la religion, un gout marqué pour Ia fête et une sympathie irréprochable pour les affligés.

Les artistes populaires acadiens de l'Ile-du-Prince-Edouard nous ont légué un repertoire relativement important de leurs compositions. Certains de ces poètes traditionnels sont heureusement encore parmi nous, alors que de nombreux autres, d'heureuse mémoire, sont passes a la postérité. Parmi les plus connus mentionnons Madeleine Richard et Angéle Gallant de Mont-Carmel, André Arsenault et Isabelle Poirier de Tignish, Julitte, Thomas et Sophique Arsenault de Baie-Egmont.

Ces gens, illettrés ou pourvus des éléments les plus élémentaires de la lecture et de l'écriture, ont compose des vers sur de nombreux sujets. La mort tragique d'un paroissien, la tenue d'un "frolic", la naissance de jumeaux, le vol d'un chien, les efforts d'un "vieux garcon" pour se trouver une épouse, voilã autant de themes qui ont su inspirer ces poètes.

La transmission orale nous a heureusement conserve plusieurs chansons composées par des gens décédés depuis longtemps. A titre d'exemple, la complainte qui raconte le meurtre de Madeleine Doucet en 1812, commis par son marl Xavier Gallant, est encore chantée de nos jours. Chose surprenante, cette ballade est mieux connue dans le Nord-est du Nouveau-Brunswick qu'elle ne l'est dans l'Ile. Elle est en effet une parmi une dizaine de chansons d'origine insulaire qui a franchi les eaux du detroit et du golfe.

Règle générale, les chansons de composition locale sortent peu du milieu oü elles ont été composées. Ceci peut s'expliquer par le fait qu'elles ont, plus souvent qu'autrement, un cachet très local au point qu'elles présentent peu d'intérêt pour les gens de l'extérieur qui, de toute facon, pourraient avoir de la peine a comprendre la chanson dans toutes ses subtilités.

Que peut-on dire de la méthode de composition pratiquée par ces poétes issus du peuple? Comme je l'ai souligné plus haut, les auteurs en question étaient généralement des gens qui n'avaient pas eu l'occasion de se pourvoir d'une bonne instruction. Ils possédaient toutefois le sens de la rime et du rythme, une imagination fertile et une bonne mémoire. Cette derniére faculté étant d'autant plus importante du fait que l'auteur composait mentalement ses vers et les retenait sans les écrire! Cela exigeait toute une gymnastique mnémonique, surtout lorsqu'il s'agissait d'une chanson de douze, quinze et même de vingt couplets!

Ces vers étaient normalement composes sur un air que l'auteur empruntait a une chanson qu'il connaissait. Il y a des melodies qui ont gagné, plus que d'autres, la faveur des auteurs. Ainsi, le timbre des chansons folkloriques intitulées Les cartes, Vous m 'entendez bien et Quand trois canes s'en vont au champ, comptent parmi les plus populaires.

Certaines chansons ont non seulement prêté leur mélodie a une composition locale, mais parfois aussi des expressions, des vers et même des couplets entiers. En effet, ii arrivait souvent a des auteurs, connaissant parfois des centaines de chansons, de piger dans leur repertoire, probablement inconsciemment, pour y chercher des elements pour leurs compositions.

Le style et le vocabulaire varient selon le genre de chanson. Ainsi, les complaintes qui veulent faire sérieux, solennel, afficheiit un vocabulaire tenant plutôt du francais standard et que je qualifierais de "littéraire". D'un autre côté, les auteurs de chansons légéres, comiques, drôles, employent avec liberté le dialecte et l'accent local, et même des expressions anglaises.

La richesse de la rime importait peu car ces vers etaient composes pour être chantés et entendus, et non pour etre lus On pourra donc faire rimer "election" avec "temps" si ces deux mots sont prononcés avec l'accent acadien de l'Ile.

Pour illustrer les différents types de chansons que ics auteurs populaires acadiens de l'Ile-du-Prince-Edouard ont composes, et qu'ils composent encore, je les ai regroupées en cinq catégories a savoir: 1) les complaintes, 2) les chansons satiriques, 3)les chansons politiques et électorales, 4) les chansons sur des événernents spéciaux et 5) chansons diverses.

Les Complaintes

Les complaintes sont des chansons a caractere plaintif composées pour commémorer un événement tragique. Cette catégorie, a mon avis, est la plus impressionnante de toutes les chansons de composition locale, bien qu'elle ne soit pas la pius importante du pont de vue quantitatif. Aucune étude méthodique n'a encore été menée pour mesurer l'importance de ce genre ck composition dans l'ensemble du repertoire des chansons composees en Acadie. Mais je peux dire, d'aprés mes recherches, que les complaintes tiennent une place de choix dans le repertoire de uombreux chanteurs traditionnels.

Les recherches que j'ai effectuées pour ma these de maItris& m'ont mené a inventorier vingt et un textes ou fragments de textes de complaintes attribuées a des auteurs insulaires. De plus, j'ai recueilli de nombreux indices me signalant que telle ou telle cornplainte a été cornposCe, sans toutefois réussir a mettre la main sur des paroles.

Les CvCnernents rapportés dans ces chansons datent de 1812 a 1976. Il est intCressant de noter que cinq de celles-ci ont connu une diffusion a l'extérieur de la province. XavierGallant—Lemeurtrier de safemme et Jérôme MailletLe bûcheron écrasé par un arbre, composCes sur des tragedies arrivCes en 1812 et 1892 respectivement, sont de loin les plus populaires.

Les complaintes sont habituellement composCes selon une structure assez bien définie. Il y a d'abord une introduction oO l'auteur pourra 1) inviter les gens a écouter la chanson, 2) annoncer l'objet de la complainte, 3) identifier la ou les victimes, 4) situer l'Cvénement dans le temps et dans l'espace, et enfin 5) annoncer un depart quelconque. Ce depart introduira la deuxième partie de Ia complainte oü Cvoluera l'action centrale, oü seront rapportCes avec plus ou moms de details les actions qui ont mené aupoint culminant du rCcit, ordinairement une mortalité. La partie qui suit, que nous pourrions appeler le "denouement", faute d'une expression plus juste, peint en quelque sorte le tableau final du rCcit. Ici, l'auteur pourra parler des effets de la tragCdie, de la triste annonce faite a la famille Cprouvée, de l'enterrement et de faits semblables. Et pour clOre la complainte, l'auteur se permettra de formuler un avertissement, de demander des prières pour les dCcCdés, d'identifier la victime (si cela n'a pas etC fait), et parfois l'auteur s'identifiera d'une facon indirecte.

On pourrait encore parler, du point de vue de la structure des complaintes, des aspects narratif et émotif. En effet, ces deux orientations sont trés importantes dans ce genre de chanson. Dans un premier temps, l'aspect narratif consiste a rapporter les faits, alors que l'aspect Cmotif cherche plutôt a jouer sur les sentiments des auditeurs par l'intégration au rCcit d'expressions sombres et pathétiques par des prières, des dialogues Cmouvants, etc. L'ClCment religieux, ii convient de Ic mentionner, tient Iui aussi une place importante. On le constatera bien d'ailleurs dans l'exemple qui suit.

Pour illustrer cette categoric de chansons, je prCsente ici le texte de la complainte composCe sur la mort de Firmin Gallant, un jeune pêcheur de Rustico noyC en 1862. De toute evidence, il était le fils de Joseph Gallant et de Marie Blaquière.2 Jusqu'ã present, j'ai inventorié huit versions de cette complainte recueillies dans l'Ile et dans le Sud-est du Nouveau-Brunswick. J'ai recueilli la version cidessous le 29 dCcembre de Mme Alma Arsenault, née LeClair, a Saint-Hubert, Baie-Egmont.

1. C'est dans notre petite Ile
Nommée du norn de Saint-Jean
De Rustico quelques milles
J'entrevois un cher enfant.
Dans une petite barque
Du rivage bien Cloigné,
Qui par beaucoup de recherches
Ses filets s'en va chercher.
2. Aprés beaucoup de recherches
Ses filets ii a trouvés,
Et tout hardiment ii marche
D'un pas ferme et rassurC.
Et bientOt là il s'embarque
Sur le bord de son vaisseau
Et bientôt sa main si forte,
Le filet monta bien haut.
3. Survint une vague haute,
Le bateau a chavirC.
Au moms d'un rnille de la côte
Ce cher enfant s'est noyC.
Etant au fond des abImes
Ce cher enfant a crié:
"Dieu qui mesurez l'abIme,
Oh! daignez (me) délivrer."
4. Oh! l'entendez-vous cher père
Ce cher enfant qui vous prie?
Oh! nous le croyions donc guère
Qu'il perdrait sitôt la vie.
"Et vous, ô ma tendre mere
Qui habitez dans les cieux,
Par vos puissantes prières
Arrachez-moi de ce lieu.
5."0 Vierge, o sainte ma mere,
Oh! daignez me secourir.
D'une aussi triste maniCre,
O mon Dieu, faut done mourir!
Mon bon ange tutélaire,
Vous qui guidez tous mes pas,
Offrez a Dieu mes priéres
Afin qu'il me perde pas.
6. "Mon corps est la nourriture
De tous les monstres des eaux,
Comme il serait la pâture
Des vers au fond d'un tombeau.
Mais hélas! qu'importe-il
Puisque l'ârne est assurée,
Si des cieux je trouve la porte
Ouverte pour y entrer.
7. "En ce moment j'abandonne
Tous ceux que j'ai tant aimCs.
Aux monstres marins je donne
Ce corps que j'ai tant flatté.
Que je laisse dans mes ondes
Mes os, mon sang, et ma chaire,
Et je vois bien que le monde
Est un séj our de malheur.
8. "Je vous dis adieu cher père,
Adieu parents et amis,
Adieu mes frCres et mes soeurs.
Que vous serez fort surpris
D'apprendre que dans ma force
Je me suis fait emporter
Comme une lCgére Ccorce
Que le vent souffle a son gré."
9. Son corps pour quatre semaines
Est restC au fond des eaux.
Ses parents avec grande peine
Le cherchaient dans son tombeau,
Jour de juin, le vingt-troisième
Mil huit cent soixante et deux,
Ce corps si pale et si blême
Flottait sur ces eaux si bleues.
10. Il a les mains et la face
Cruellement massacrées,
Les poissons, cruelle race,
Les avaient toutes rongées.
C'est en grande cCrCmonie
Qu'on a fait l'enterrement,
Tandis que chacun le prie
Le Seigneur Dicu tout-puissant.
11. Si vous désircz d'entendre
Le nom de cc cher enfant
Je vais vous le faire comprendre,
Son nom est Firrnin Gallant.
Dix-huit annCes est son age
Bien rigoureux et bien fort,
Plein de vie et de courage
Sc croyant loin de Ia mort.3

Cette complainte est remarquable de par son style qui touche un peu le littCraire cc qui dCmontre une certaine instruction chez cet auteur.

Les Chansons Satiriques

Les chansons satiriques comptent parmi les plus drôles, les plus amusantes et peut-Ctre parmi les plus originales des compositions de nos poCtes populaires. Celles-ci ont a peu prés toujours pour but de sanctionner une ou des personnes, et cc, pour de multiples raisons. Ainsi, Isabelle Poirier composa une chanson pour ridiculiser ceux qui avaient assisté a la fête des rois chcz Pierre a Maximin de Tignish, laquelle soirée avait été réservCc aux "collets hauts" de la paroisse. Thomas Arsenault, de Baie-Egmont, dans une chanson bien connue, voulut faire la lecon a Sylvain Caissie, accuse d'avoir vole le chien Joe Paneau et de ne plus recevoir les sacrements. Mentionnons aussi Minnie Pitre de Palmer Road qui composa une chanson assez moqucuse sur Marie Caissie, une célibataire de l'endroit.

Ces chansons, les unes plus moqueuses que les autres, pouvaient jouer un certain role social. A cc sujet, Lauraine Léger, auteur d'une excellente these sur les sanctions populaires dans le comté de Kent au Nouveau-Brunswick,4 Cent:

Le peuple a souvent dü se dCbrouiller sans le secours de la loi officielle. En Acadie comme ailleurs, il a vu a sanctionner ceux qui brisaient le rythmc des coutumes établies. Pour atteindre cet objectif, la chanson de composition locale, satire primitive par excellence, s'avérait un moyen des plus puissants.5

Inutile de souligner qu'il ne fallait pas avoir froid aux yeux pour composer des vers du genre, et fallait-il encore les chanter avec discernement au risque de blesser involontairement des personnes liées d'une facon ou d'une autre au sujet de la chanson.

Les chansons qui appartiennent a cette categoric sont relativement nombreuses. A quelques exceptions prés, elles ont été très peu diffusCes, sortant rarement du milieu qui les a vues naItre. La chanson qui suit fait partie de ccs exceptions. Composéc a BaieEgmont par Balthilde Arsenault, née Ic 4 janvier 1843, elle a etC rccueiilic en trois versions au Nouveau-Brunswick. CclIe que je présente a eté envoyCe au journal L'Evangéline vers 1940 par Norbert Bastarache de Saint-Paul-dc-Kent. Soulignons quc cette paroisse etablie en 1864 compte piusicurs families acadiennes insulaires parmi ses fondateurs. Cette chanson fut composéc aprés 1863, date du décCs du pére de Bathilde. C'est une véritable chanson de sanction populaire, fort éloqucntc d'aiilcurs!

1. C'Ctait par un beau soir de Noel
Ils m'aviont laissée tout' seule
Moi et mon petit frèrc André
Qui n'étions pas trop assures.
Je vous assure en vCrité
Que nous deux on a cu peur assez.
2. C'cst Dominique Marcel
En revenant des offices de Noel,
En se revenant des vêprcs
Il n'avait pas peur du prCtre.
Il nous a fait un pauvre tour
Il en rendra compte un jour.
3. Il a ramassC un bois
Du long6 ia bouchurc7 a Francois.
11(a) frappé dans le chassis8 Parce qu'ii avait pas grand esprit.
Il se sauvait au plus vite
Quand il a cu cassé deux vitres.
4. Tu te sauvais dans ie chemin
Tu croyais que je te voirons point.
Je t'avions jamais fais tort
Ni que je vouions t'en faire encore.
Tu diras tout quc tu voudras
Faudra toujours que tu nous paics ca.
5. Ca t'apprendra pour un autre coup,
Quand tu passeras vis-a-vis de chez nous,
Dc ne pas faire de si laide maniére
Pour faire facher ma mere.
T'aurais été mieux rCcompcnsC
Si t'avais dit un Pater, un Ave.
6. Prospére s'a coupé sur le talon
En paSsant du long ia maison
Avec un des morceaux de vitre
Qu'avait (ete) cassC par Dominique.
Il dit que ça y fait piaisi'
Quand il regarde dans son chassis.
7. Allcz-vous approuvcz cela
C'est la mere dc cette pcrsonnc-ià,
Elle dit qu'elle n'a pas etC surpris'
Quand elle a su que c'Ctait iui.
Elie i'aurait pas si bien redouté
S'il l'avait cu mieux Cicvé.
8. Si tu veux aller dans le Paradis
Prcnds-toi en point a nos chassis
Parce quc situ casses nos vitres
Tu pourras pas y alier si vite.
Tu pourrais passer dans le Purgatoire
Pour avoir fait cela la fête au soir.
9. La chanson a été composed
C'était le soir a la veillCc
Par Balthildc a ia veuve Judith.
Elle l'a composCe su' Dominique,
Il l'avait si bien mCritéc
Qu'elle n'a pas pu s'cn empêcher
10. J'en ai compose dix versets
C'cst-il bien tout cc qu'ii rnCritait?
Si ça a ie faire changer
Je croirais que y en aurait assez
Si vous croycz qu'ii y en a pas asscz
Je pcux encore en composer9

La tradition de la chanson satirique ne semble plus êtrc vivantc. Tout au moms, je n'ai pas rencontrC d'indice m'indiquant le contraire.

Les Chansons Politiques et ÉLectorales

Pour la plupart, les chansons poiitiqucs et Clectorales pourraient être incluses dans la categoric des chansons satiriques car elles tiennent, plus souvent qu'autrement, de la railleric ct de Ia diffamation. Elies datcnt dc l'époque on ia partiSanerie politique Ctait a son plus fort, oü ics Rougcs étaient Rouges et les Bleux Ctaicnt Bleus. Ces chansons mettent en vedette soit des politiciens ou des aspirants politiciens, soit des partisans parmi ies plus engages d'unc formation politique quelconquc. L'autcur dc ces vcrs sera gCnCralement un partisan du parti oppose, cc qui explique le cachet satirique des chansons de cette categoric.

Au dire de nos informatcurs, piusicurs chansons poiitiques et Clectorales furent cornposées a la fin du 18e siècle et au debut du 20e. Certaines personnes Ctaient rcconnues pour icurs aptitudes dans cc domaine. Elles prcnaient Cvidcmment plaisir a s'amuser aux dCpens des politiciens et de lcurs amis les plus dèvouès. Malheureusemcnt, seulement un petit nombrc de ces chansons ont Ctè recucillics jusqu'à present.

L'interprètation des faits rapportCs dans ces compositions s'avére habituellement difficile. Les personnagcs ne sont pas toujours claircment indcntifiCs et leur allègcance politiquc reste trop souvent ambiguö. En plus de cela, le corps de la chanson ne fait parfois que vaguement allusion au fait qu'il s'agitd'un contextc electoral.

L'excmplc qui suit m'a étè chanté en 1973 par Mme Madeleine Richard de Cap-Egmont, âgèe de 93 ails. Elle attribua cette composition a AngCle Gallant de Mont-Carmel. Une étude du contexte socio-historiquc jetterait sans doute beaucoup dc lumiére sur les élCrnents rapportés dans ccttc chanson. De toute evidence, il s'agit de l'élection provinciale de 1890 tenue le 30 janvier, a laquellc Etienne Gallant, de Baie-Egmont, mane a unc dernoiselle McNally, ètait candidat pour la parti liberal dans le 3e district de Prince. Il ne fut pas Clu.

1. A'-vous point vu Jim McNally
Qu'Ctait venu pour canvasser?10
< il avait emmené le ministre
C'est pour parler d'la politique.
Refrain:
Ta-dla tata tom...

2. Ah c'est pour le faire changer I' avont promis son diner, S'il voulait voter pour Etienne Son cheval arait une fide" d'avoine.
3. Ils ont passé pas su Young John
C'est pour en faire changer unc grande bande.
Par là y en avait presque pas
Y a yinque'2 Jerome a Nicolas.
4. Ah! c'est sur la butte des Mignon Qu'ils ont hissé un pavillon, Ah! c'est le sept de fCvrier Qu'ils ont 'te obliges de i'baisser.
5. Ah! yen avait qu'étiont assez bêtes
Qu'iis ont porte Etienne dans une chaise.
Ils l'avont porte a Richmond
Dans le magasin a Larkin.'3

Chansons Sur Des ÉVÉNements SpÉCiaux

Cette categoric regroupe un nombre important de chansons composCcs sur des themes très varies. Des événements tels l'ordination d'un prêtre, la naissance de jumeaux, un "frolic a hooker", la construction d'une poissonnerie, l'organisation d'un concert, etc., ont su inspirer un trés grand nombre de poétes populaircs. C'est le genre dc chansons qui se composent encore a l'occasion, et cc, touj ours dans le style traditionnel.

Parfois l'événement ou l'aventure rapportée représente peu d'importancc et touchc mCme la banalité. C'est le cas de la chanson intitulée Le tuyau composée vers 1940 par André Arsenault de Saint-Felix dans la paroisse de Tignish. L'auteur, avcugle d'un oeii, raconte d'une facon humoristiquc comment il fut amené a néparer le tuyau du poêle d'une voisine. Je l'ai recueillie en 1973 d'un "Tignishois," M. Leo J. Gallant, présentement domililié a Arichat au Cap-Breton.

1. Par un beau soir aprés souper
J'partais pour allen travailler
One femme m'a appellé et vous bien,
Son tuyau était démanché
Et vous m'cntendcz bien.
2. "Auriez-vous bien la bonté
Dc faire une petite charité,
C'est de venir en haut, et vous bien,
Pour voir mon tuyau,
Et vous m'entendcz bien".
3. Mais quand quc j'ai arrivé là,
J'savais djâble14 pas comment arranger ça.
Al' a dit: "Vcncz au gornier'5, et vous bien,
Vous pouvcz examiner,
Et vous m'entcndez bien."
4. Un autre homme a donné a passer,
Je lui ai dit: "Viens m'aider
D'arrangcr le tuyau de la femme, et vous bien,
Parce quc son poêle boucane,
Et vous m'cntcndez bien."
5. Un boutte de brochc nous a trouvé,
C'était pour le tuyau amarrer
Pour amarrer Ic tuyau, et vous bien,
Qu'allait point assez haut,
Et vous m'cntendez bien.
6. Moi, j'envoyais la broche dans l'trou,
Auréle l'attrapait pas dessous,
Nous avions vien d'la misCre, et vous bien,
Parce que je pouvais pas voir,
Et vous m'entendcz bien.
7. Mais quand j'm'ai mis a examiner,
Les deux trous pouviont pas s'embrayer.
J'ai pris un autre trou, et vous bien,
J'ai point cu de misére du tout
Et vous m'cntcndez bien.
8. Là, nous avons descendu,
Le tuyau nous avions suspendu,
J'l'avions si bien amarré, et vous bien,
Qu'i' pourra Pu sc démancher,
Et vous m'cntcndcz bien.
9. J'crois quc c'était une charité,
Le tuyau d'avoir arrange,
Parc' c'aurait 'té dangereux, et vous bien,
S'ils aviont fait un feu,
Et vous m'entendcz bicn.

10. Si le poêlc avait 'té allumé,
Avcc le tuyau démanché,
C'aurait fait d'la boucane, ct vous bien,
C'aurait toute noirci la fcmrne,
Et vous rn'entendcz bien.16

Chansons Diverses

Un certain nombre de chansons de composition locale ni sauraicnt êtrc classifiées dans les quatre categories décrites ci dessus. Celles-ci traitent d'une variété de sujets. Parmi les plu originales figure celle que Madeleine Richard de Cap-Egmon composa sun clle-même a l'age dc 90 ans, un testament lyriqth pourrait-on dire. Une autre, breve ccllc-ci, énumére tous le membres de la farnille des Calumet (famille de Cyprien Gallant) de Baic-Egmont. J'ai egalemcnt recucilli unc chanson qui fait l'élog des gens de Palmer Road et Saint-Louis, et de Icur curé Ic Per Gauthier. Enfin, une toute nécentc composition de Mmc LéaI Maddix, 80 ans, d'Abram-Village, évoque le "bon vicux temps' chez lcs insulaines. En voici le texte:

2. Dans l'vieux temps on était dans la pauvreté On n'avait pas trop d'quoi a manger, Mais on avait du hareng sale
Et aussi du bon jambon a manger.
3. On était dans l'obscurité Parc' qu'on avait pas encore d'élcctricité, Mais on avait nos lampes d'allumées Et aussi les chandelles pour nous éclairer.
4, Nos mCres nous faisaient des p'tits lits,
Avcc la paille ils étiont remplis.
Des couvartes on en avait asscz
Parc" que nos méres faisiont du métier.
5. Les toilettes étiont pas commencées
Mais on avait des p'tits priviers,'7 On portait des vicux siaux18 quand on allait se coucher
On les placait en-dessous d'l'excalier.
6. A Charlottetown on pouvait pas y allen
Parce que dans l'tnain il fallait payer
Mais a Wellington on y allait a pied
Quand qu'on voulait aller magasiner.
7. Si vous voulez écouter chanter
La chanson qucj'viens de composer
Dans le vicux temps on était bien heureux
Parc' que pensonne ne savait pas mieux.19

Conclusion

Voilà un asscz bon echantillonnage de la production des auteurs populaires acadiens de l'Ile-du-Prince-Edouard. Leurs compositions se chiffrent probablement dans les centaines, mais bien sUr elle n'ont pas toutes survécu. Ces chansons de composition locale representent environ 15 pour cent du repertoire des chanteurs traditionnels acadiens de la province. Les autres sont pour ia plupart des chansons folkloriques d'origines francaises apportées de la France par les ancêtrcs au temps de la colonisation.

Les chansons de composition locale sont, a mon avis, d'importants documents histoniques capables de contribuer d'une facon remarquable a l'étude de la petite histoire, voine même a la grande histoire. En effet, dans ces chansons il y a de tout au sujet de la vie du peuple. On y parle de sanctions populaires, de mocuns electorales, d'activités sociales, d'attitudes religicuses, et quoi encore! Avec le bon approche, ces documents de source orale peuvent trouver honorablement leur place dans des etudes qui portent sur la sociologic, la religion, les traditions populaires et l'histoire, pour ne nommer que ces disciplines.

Footnotes

1 Georges Arsenault, Complaintes acadiennes de I'iIe-du-Prince-Edouard (Montréal: Leméac, 1980), 26! pp. 2 Patrice Gallant, Michel Haché-Gallant et ses descendants, tome! (Rimouski, 1958), p. 51.

3 Coil. Georges Arsenault, enreg. 23.

4 Lauraine Lé ger, Les sanctions populaires en Acadie (Montrhal, Leméac, 1978).

5 Laaraine Léger l.a chanson satirique,'' . 'Action Nationale, 67(1977), 322.

6 Lelong.

7 Cloture.

8 Le mot chassis est employh dans le sens de fenétre.

9 Centre deludes acadiennes (Université de Moncton), coil. Joseph-Thomas LeBlanc.

10 De l'anglais to canvass: solliciter des vois.

11 De l'anglais feed: une ration.

12 Seulement. Contraction des roots "rien que."

13 CoIl. Georges Arsenault, enreg. 250.

14 Diable

15 Grenicr.

16 CoIl. Georges Arsenault, enreg. 464.

17 Toilettes exthrienres.

18 Seaux.

19 Colt. Georges Arsenault, enreg. 1333.

Abstract: Georges Arsenault discusses several local songwriters in the Acadian community of Prince Edward Island. Most of them have little education, but they have composed a number of songs on various subjects which interest their neighbours. He groups them under the headings of complaints, satires, political songs, songs about special events, and miscellaneous songs, and gives one example of each.' about the death of a child, a Christmas festivity, an election, fixing a stove pipe, and praise of Prince Edward Island. Such local songs, which make up 15 per cent of the repertoire of traditional singers, are valuable for the light they throw on the life of the Acadian people.