Canadian Journal for Traditional Music (1977)

Le Muetre de Timothy McCarthy: Un Complainte Acadienne

Georges Arsenault Fowke

Version esthetique

Venez mes chers confreres, venez pour écouter
Une chanson bien faite d'un nommé McCarthy.
Demeurait a Moncton, paisiblement,
Se croyant pas si proche c'est de sa fin.
Ce fut le douze octobre, ii prit la voie ferrée
Pour s'en aller sur l'Ile, un cheval s'acheter.
Passant par Shédiac, sur son chemin,
Se croyant pas si proche, c'est de sa fin.
S'en va chez les Weldon, c'était pour s'informer
Si le bateau du soir pourrait le traverser.
Le vent était contraire, a fallu retarder,
C'est ça qui nous fait voir sa destinée.
S'en va chez les Osborne pour voir tous ses amis. Quand ii fut dans l'auberge, se crut dans son logis.
"Quelle cruelle assurance ce fut pour moi, Ii a fallu descendre jusqu'au trépas!"
La vieille dit a Harry: "Il a beaucoup d'argent,
Comment pourrions-nous faire pour mettre la main dedans?
Donnons-lui une poudre bien apprêtée,
Ca fera notre affaire bien assurée."

La vieille va dans l'auberge pour vider les flacons.
Elle lui présente un verre, un p'tit peu de poison.
"Un verre de cette sorte lui suffira
Et l'argent de sa bourse nous restera."
Quand ii eut bu ce verre, s'attoque sur le comptoué,
Le son de ses paroles était entrecoupé.
II appela sa femme et ses enfants

Et aussi bien un pr&re, assurément.
La vieille dit a Harry: "De quoi en ferons-nous?
Si nous le laissons vivre ii nous déclairera tous.
Tiens, prends cette hache et ne crams pas,
Un seul coup de hachette le finira."
Le premier coup qu'il frappe, tomba sur le plancher,
Le sang par les oreilles, de la bouche et du nez.
Grand Dieu! quel spectacle, c'est effrayant!
C'est de voir cet homme baigner dans son sang.
La Parker le regarde, le regarde en tremblant. La vieille s'avance, elle lui ôte son argent.
"Tiens, voilà ta part et ne crams pas.
— Gardez tous vos trésors, je n'en veux pas."

Harry fut qu'ri' la Bible, la Parker fit jurer
De ne jamais rien dire où a été McCarthy.
Un cable et une roche le retiendra,
Au fond de la rivière y restera.
Vous autres mes chers confreres gui voulez voyager,
N'allez pas a l'auberge oü a été McCarthy.
L'argent de votre bourse ne montrez pas,
Votre vie qu'est si chére y passera.

La chanson de composition locale constitue un champ d'étude qui a été peu exploité par les folkioristes canadiens-français. De fait, rien n'a encore été publié qui puisse se comparer, par exemple, a l'excellent ouvrage de G. Malcolm Laws intitulé Native American Balladry1 dont la premiere edition date de 1950, ou encore aux publications d'Edward Ives sur les auteurs populaires et leurs chansons2. Pourtant, la matière ne manque pas chez-nous.

Mon intér& pour les chansons de composition locale remonte au debut de mes enquétes folkioriques. Parmi les premieres chansons que j'enregistrai en 1971, quelques-unes étaient des complaintes locales. Je fus impressionné d'une part par leur longueur, mais surtout par l'importance que mes informateurs leur donnaient. A partir de ce moment, mon intérét pour ce genre de chansons a été en grandissant. Je prepare présentement une these de maltrise sur cette categoric de chansons. II s'agit précisément d'une étude descriptive, historique et comparée des complaintes composées par les Acadiens de l'lle-du Prince- Edouard.

Avant d'entrer dans le sujet de mon exposé, ii serait a propos que je fasse quelques brèves observations sur les chansons acadiennes de composition locale. Celles-ci sont relativement nombreuses. Marius Barbeau écrit en 1937 que le repertoire acadien de chansons folkioriques comprend beaucoup plus de chansons de facture locale que le repertoire québécois. Selon lui, ces pièces représenterait plus de 20 percent du repertoire.3 Les chansons locales restent populaires dans le repertoire acadien car elles sont encore recueillies en assez grand nombre. Ce que est intéressant a noter c'est qu'il est possible d'en enregistrer qui datent de plus d'un siècle et demi et d'autres qui ont été cornposées tout récemment.

Nos chansons de composition locale contiennent toute une gamme de themes. La plupart se classent sous trois categories: 1) les chansons satiriques ou de sanction populaire; 2) les complaintes; 3) les chansons composées pour rappeler des événements spéciaux, des incidents cocasses, etc.

Les complaintes sont des chansons composées pour commémorer des événements tragiques. Le plus souvent, en Acadie, elles traitent de noyades, d'accidents de route et de travail, d'incendies, et de nostalgic. Parmi toutes les chansons locales, les complaintes ne constituent pas la categoric la mieux représentée du point de vue numérique. Elles sont cependant celles qui, jusqu'à present, ont attire davantage l'attention des folkloristes.

La complainte que j'ai choisie a été composée sur le meurtre de Timothy McCarthy a Shédiac, Nouveau-Brunswick, en 1877. Ii faut souligner que les complaintes acadiennes basée sur cc genre d'événements sont relativement peu nombreuses.

Ce drame mystérieux constitue une histoire des plus captivantes. Pendant longtemps il occupa l'esprit des gens de i'époque. Même un siècle plus tard, on se le remémore par le truchement d'une complainte et d'une légende.

Voici le fait tel qu'il fut décrit dans les journaux du temps. Le 3 novembre 1877, le Daily Times de Moncton demandait des renseignements sur la personne de Timothy McCarthy, hotelier de Moncton, porte disparu depuis le 12 octobre. Ii avait été vu pour la derniêre fois a l'hOtel Weldon de Shédic oü il avait laissé son cheval aux soins du valet d'écurie.

Au debut de décembre, le shérif Botsford de Shédiac amorça une enquête sur cette disparition. Plusieurs renseignements furent recueillis. Les uns l'avaient vu a l'HOtel Weldon, d'autres a la Waverly House. Ce dernier établissement était tenu par la famille Osborne que connaissait bien Timothy McCarthy. Selon le témoignage de plusieurs, McCarthy était en route pour l'Ile-du-Prince-Edouard oü ii voulait s'achetait un cheval. Rappelons-nous qu'à l'époque le bateau passager entre i'Ile et la terre ferme traversait de Shédiac a Summerside.

Au debut de l'enquéte, on ne savait trop comment interpreter cette disparition. Le Moniteur Acadien, un journal publié a Shédiac, se demandait dans sa livraison du 13 décembre si la disparition était attribuable a un meurtre, a un suicide ou encore a une fuite. Ii était d'ailleurs connu que McCarthy éprouvait des problêmes matrimoniaux. Scion l'opinion générale, il était tout a fait possible que. McCarthy n'avait que temporairement quitté son épouse.

Le témoignage clef fut celui d'Annie Parker, servante a la Waverly House. Elle déclara au shérif que McCarthy était venu a l'auberge vers 9 heures le soir du 12 octobre. Ii avait eu une discussion avec Mme Osborne et sa fille Eliza pendant laquelle il leur avait montré une liasse de billets de banque qu'il avait en sa possession. Ii avait quitté l'auberge vers 10 heures et on ne l'avait pas revu.

Elle raconta ensuite qu'elle s'était couchée vers 11 heures et qu'á minuit elle avait entendu entrer un homme. Elle reconnut la voix de McCarthy. Celuici se rendait au bar. La servante entendit la voix de Mme Osborne et celle de ses enfants, Harry et Eliza. Elle les entendit parler jusqu'à deux ou trois heures du matin. Entre un et deux heures, elle entendit une respiration anormale provenant du bar. Peu de temps après, cue put entendre Mme Osborne dire a son flls d'aller atteler le cheval a la voiture, cc qu'il fit. Lorsque Harry fut de retour a la maison, elle entendit Mme Osborne et ses enfants marcher entre le bar et la porte du devant comme s'ils portaient quelque chose de lourd. Par aprés elle observa de la fenêtre de sa chambre la voiture qui s'éloignait vers le moulin a vapeur. Elle crut apercevoir un gros paquet en derriere du wagon. Toujours scion la servante, la voiture serait revenue une demi-heure plus tard. Enfin elle déclara que la semaine suivante elle trouva un rouleau de billets de banque dans l'amoire de la cuisine de l'auberge. Quant a M. Osborne, ii était retenu au lit par suite de maladie. Ii n'avait pas rencontré McCarthy. En somme, cc sont les details qu'Annie Parker donna au sherif et au juge de paix les 4 et 5 décembre 1877.4

Le 19 janvier de l'année suivante s'avéra un point tournant dans l'affaire McCarthy. Ce jour-là, Annie Parker, pensionnaire depuis quelques jours chez Mme McCarthy a Moncton, fit de nouvelles declarations. Elle avoua que lors de sa premiere declaration elle n'avait pas tout dit. D'un seul trait elle dévoila qu'elle avait vu McCathy drogué et assommé a l'aide d'une hachete par Mme Osborne et son fils Harry; que Mme Osborne lui déroba tout l'argent qu'il possédait et que Harry alla jeter le cadavre dans la rivière Scoudouc aprés lui avoir attaché une grosse pierre au cou. Elle divulga également que Harry lui fit pr&er serment sur la Bible de ne jamais révéler cc qui s'était passé.

AussitOt cette declaration faite, Edward McCarthy, frère du disparu, demanda la misc en arrestation de la famille Osborne. On procéda ainsi a i'emprisonnement de M. et Mme Osborne et de leurs enfants, Harry et Eliza.

L'enquéte préliminaire fut bientOt misc en branle. Lors de son témoignage, Annie Parker justifla sa premiere declaration en disant qu'elIe voulait "voir si les gens de Moncton pouvaient deterrer un meurtre."5 Elle fut ensuite incarcérée pour avoir indirectement participé au meurtre de McCarthy.

Deux mois avant le debut du procès, soit le 11 mai 1878, on trouva le cadavre du disparu. Ii flottait dans la rivière Scoudouc tout prés de l'endroit indiqué par la servante Parker dans sa declaration.

La découverte du cadavre de McCarthy confirma et contredit a la fois les révélations faites par Annie Parker. Le corps fut trouvé presque exactement a l'endroit qu'eile avait induqué. Les médecins charges de l'autopsie partagérent l'idée que McCarthy était mort avant d'avoir étéjeté dans les eaux de la rivière. Toutefois, aucune marque ne laissait supposer qu'il avait été retenu au fond de La rivière au moyen d'une pierre fixée a son cou. D'autre part, le pardessus de McCarthy que la servante avait juré avoir revu dans l'auberge aprés le soir du meurtre, habillait bei et bien le cadavre lorsqu'il fut repéché de la rivière.

Les propos d'Annie Parker furent remis en doute aprés cette importante trouvailie. Aussi, son comportement peu louabie aux sessions de l'enquête ne pouvait que diminuer la confiance des gens a l'égard de ses declarations. A son sujet Le Moniteur A cad/en écrivait: "Nous devons dire que la légèreté, les ricanements, les boutades déplacées, qui ont caractérisé son témoignage, sont loin d'avoir crée une bonne impression en faveur de ia Parker."6

Le procès qui débuta le 18 juillet 1878 dura cinq semaines. Le nombre de témoins comparus se chiffra 118. Le principal témoin fut sans doute Annie Parker. Malgré ses quelques contradictions et son comportement quelque peu immature devant lajustice, elle fut évidemment un témoin des plus remarquabies. Voici comment la presse locale la décrivit:

Le centre d'attraction dans toute cette affaire est Annie Parker. L'issue du procès repose sur la créance que le jury ajoutera a son témoignage. Elle a vu commettre le meurtre; elle y a même pris part indirectement. Sa deposition est circonstanciée, directe; et Un grand nombre de faits la corroborent. Seulement son caractère personnel n'a rien de recommandable. Voilà cc qui diminue considérablement le poids de son affirmation.

Comme témoin, Annie s'est déjà rendue célébre. Les avocats, comme l'on dit, n'en peuvent rien faire. Elle déconcerte les plus habiles. Son triomphe est dans le contre-examen. Impossible de la faire contredire en rien.

L'esprit d'observation, chez cette jeune, est tout a fait surprenant. Les details les plus minutieux n'ont point échappé a son observation. Elle raconte, elle écrit tout, les lieux, les distances, ies positions, les coins et recoins, l'habillement, tout cc qu'ii était possible d'observer. Sur la carte géographique elle en remontre au juge et aux avocats. Pour tocte question pertinente elle a une réponse prête, et la question n'est pas plus tôt posée que répondue. Au premier mot de l'avocat, elle a compris oü ii veut en venir, et, chose extraordinaire dans une personne dépourvue d'instruction, elle ne répond que cc qu'il faut répondre, sans jamais se contredire.

Rien ne la déconcerte, rien ne l'embarrasse, rien ne la surprend. En cour, sur la seulette, cue est aussi a l'aise qu'elle le serait a raconter une histoire a de jeunes amies et a plaisanter avec elles.

Annie Parker est toute jeune, dix-sept a dix-huit ans; ... Elle est née Québec d'une mere canadienne-française. Elle pane trés facilement le français; son angiais est incorrect, et garde l'accent francais. Au reste, telle nous l'avons vue en cour, telie elle est en particulier. Seulement un gros brin de vanité est entré dans sa téte; elle se croit un grand personnage, et ne pane que d'envoyer celuici ou ceiui-là coucher en prison; croit sa vie en danger, et exige une garde de corps.7

Un témoignage qui attira beaucoup d'attention fut celui d'Agnès Buchanan, une arnie d'Annie Parker. Elie divulga un secret que lui avait confié son arnie. Cette confidence voulait que Mme McCarthy aurait promis a Annie de "l'entretenir comme une dame si elle voulait jurer que les Osborne avaient tue McCarthy."8

Le jury ne réussit pas a s'entendre sur un verdict. Dix des jurés voulaient condamner les Osborne alors que deux voulaient les acquitter.

Un deuxiéme procés s'imposa. Ii dura également cinq semaines, soit du 12 novembre au 19 décembre 1878. Les nouveaux jurés ne parvinrent toutefois pas a se mettre d'accord. Le MoniteurAcadien écrivait: "Ii paralt que sept jurés étaient d'opinion qu'ils étaient coupables et cinq qu'ils devaient être élargis."9

Suivant cc procés, M. Osborne et sa flue Eliza furent mis en liberté sous leur propre caution. Par la suite, Annie fut également relâchée.

La derniére phase de l'affaire McCarthy-Osborne débuta en janvier 1879. Ii y cut alors un revirement de la situation: les Osborne devinrent plaideurs. Se rapportant aux deux procês, us accusérent Annie Parker de parjure. Lors de son arrestation, elle se trouvait encore chez Mme McCarthy. Il n'y cut cependant pas de troisiéme procés en raison de complications juridiques. Enfin, le tout se termina en laissant tomber l'accusation a l'endroit des Osborne. Ils furent tous libérés.

Annie Parker profita de sa célébrité (l'affaire McCarthy avait retenu l'attention de la presse provinciale, nationale, méme internationale) pour se gagner un peu d'argent. Ainsi, elle publia en aoüt 1879 dans le Globe de Saint-Jean l'annonce suivante:

Mile Annie Parker desire annoncer au public qu'elle est a l'Hôtel Dorchester en cette cite, coin des rues Dorchester et Sewell, pour une semaine, où Ofl peut la voir entre 9.50 et 11.50 a.m.; et de 2 '4 heures p.m. Admission 25 a 40 cents.10

Ce drame mysténieux hanta longtemps le public. Les journaux le mentionnait encore treize ans plus tard. En 1890, Le Moniteur Acadien disait: "Cette tragédie, pius que jamais entourée de mystére, revient parfois a la surface et préoccupe plus ou moms ies esprits."11

Un drame aussi pathétique et aussi spectaculaire que celui-ci ne put faire autrement que de laisser une forte impression sur la population du sud-est du Nouveau-Brunswick. Un forgeron de College Bridge dans la vallée de Memramcook, du nom d'Honoré Leblanc (1845-1925), cut mêmc l'idée de composer une compiainte sun ic sujet.

Cette composition reçut la faveur de ia tradition popuiaire. Elle a ete transmise oralement jusqu'à nos jours et cue a été abondamment diffusée a i'extérieur de Memramcook. Lorsque j'ai cffcctué ma recherche pour cette étude pendant l'hiver de 1976, j'ai réussi a inventoricr seize versions conservées dans différentes archives. La piupart viennent du sud-est du NouveauBrunswick, c'est-à-dire des comtés de Kent et de Westmorland. Par ailleurs, une version fut recuellie en Gaspésie et trois a l'Ile-du-Prince-Edouard. Il est intéressant de noter que la premiere version fut recueillie a Port-Daniel en Gaspésie en 1923 par Marius Barbeau. Je donne au debut de cet article une version esthétique de cette chanson que j'ai reconstituée aprés une soigneuse étude comparée des seize versions que j'avais trouvées dans des archives. Quant a la melodic, elle provient de la version recueiiiie auprés de Mme Evéline Arsenauit-Fiiion de Montréal, autrefois de Cocagne, Nouveau-Brunswick.12 A i'instar de ia plupart des chansons de composition locale, ia melodic dc celie-ci est empruntée a un air preexistant. Ici, i'air qui a scrvi a la méiodie est celui de ia chanson traditionnelie française, Le depart du so/dat: le glas, titre conforme au Catalogue de Ia chansonfolkloriquefrançaise de Conrad Laforte.'3

Au point de vue de sa forme, disons que la complainte contient douze quatrains hétérométriques. Les deux premiers vers de chaque couplet sont alexandrins alors que les deux derniers sont décasyliabiques. La rime est sans alternance, souvent assonancéc en "é" ou en "an."

L'élément narratif compte pour beaucoup dans cette chanson. Cependant, l'auteur fait intervenir cinq rerises des personnages relies au drame en leur donnant la parole. Tout comme ia forme habituelle des complaintes, ic premier couplet invite ies gens a entendre La chanson. Dans cc même couplet la victime est identifiée et son sort révéLé. Le corps dc la chanson est consacré a la relation du drame qui y est rapporté en detail. Enfin, le dernier couplet sert d'avertissement. L'auteur prévient les voyageurs de ne pas s'arréter a La méme auberge ou McCarthy a été assassiné; et surtout de ne pas étaler publiquement le contenu de ieur bourse, car cet argent, tout comme leur vie, pourrait bien y rester.

Scion Exelda Leblanc, petite flue de l'auteur de la complainte, son grandpére avait iu l'histoire de l'affaire McCarthy dans les journaux. Cette remarque est tout a fait plausible car La plupart des faits racontés dans la chanson sont conformes a la declaration d'Annie Parker a l'enquête préliminaire du 21 janvier 1878 et qui fut publiée en details quclques jours plus tard dans Le Moniteur Acadien.'4 Le seul detail qui n'apparaIt pas dans les rapports des enquêtes et des procés est celui que l'on retrouve dans ic dernier vers du 7e couplet. Ici, l'auteur voudrait que McCarthy ait dernandé un prétre après qu'il cut bu le poison. Scion toute probabiiité, l'auteur a tire cc renseignement de son cru. La question s'impose a savoir pourquoi ii aurait fait ainsi. Serait-ce possible qu'il voulait simpiement embeilir, pour ne pas dire idéaliser, i'image de ia victime?

Par sa chanson, Honoré Lebianc reconnait La véracité du témoignage d'Annie Parker et inflige aux Osborne la responsabiiité du meurtrc. Il serait intéressant de savoir si L'auteur composa La compiainte avant la fin du procès ou une fois les accuses relâchés et les poursuites retirees. Si elle ne fut cornposée qu'aprés la clOture de l'affaire, ii faut croire qu'Honoré LebLanc était convaincu que les Osborne étaient les véritables meurtriers. Quoi qu'il en soit, un siècle aprés cc drame, les Osborne sont toujours tenus responsables de la mort de Timothy McCarthy, et cc par l'entremise de la complainte.

L'étude comparéc des seize versions de cette complainte a sans doute démontré qu'ellc a été assez bien conservée. Treize versions comptent au moms sept des douze strophes et trois d'entre elles contienncnt les douze couplets.

Comme pour toutes les chansons transmises oralement pendant un siècle, il s'est produit de nombreuses variantes. Par exempic, les noms Weidon et Osborne sont souvent déformés et parfois interchanges. Aussi, quelques vers sont trés instabies de sorte quc leur sens vane d'une version a une autre. De fait, sans avoir eu en main les documents historiques tels que publiés dans Le MoniteurAcadien, ii aurait probablement été difficile, pour ne pas dire impossible, d'en trouver ie sens premier. Cette grande instabilité de certains vers est sans doute due a la faiblesse du texte original. D'un autre côté, certains vers ou details sont étonnammant fixes. Par exempic, la date du meurtre reste ie 12 octobre dans toutes les versions.

J'ai dit, au debut de mon exposé, que la légende avait aussi véhiculé l'histoire du meurtre de McCarthy. Ne pouvant en discuter dans ie cadre de cet article, je me contenterai dc dire que plusieurs récits iégendaires, ayant trait au meurtre, ont été recueiilis récemment dans le sud-est néo-brunswickois par Catherine Jolicocur qui, depuis un certain temps, s'y adonne a des enquêtes intcnsives sur la legende acadienne. En parcourant ies récits iégendaires qu'eilc a recueiilis, j'ai découvert que La complainte a permis ia transmission et la conservation de cette légende.

En terminant, je dois dire qu'à mon avis la chanson Le meurtre de Timothy McCarthy est une des plus intéressantes compiaintes acadiennes de composition locale. Nous pourrions méme ajouter que son scenario est tout aussi captivant que bon nombre de complaintes moyenâgeuses. Pour un chanteur acadien, eiue aurait même pius dc signification que Les anciennes complaintes françaises car eilc remémore un événement tragique survenu a une époque et dans un espace qui lui sont beaucoup plus rapproachés.

Universite' Laval
Québec, Quebec

1 Rev. ed., Philadelphia, American Folklore Society, 1964.

2Larry Gorman: The Man Who Made the Songs (Bloomington: Indiana Univ. Press, 1964); Lawence Doyle: The Farmer-Poet of Prince Edward island. A Study in Local Songmaking (Orono: Univ. of Maine Press, 1971).

3Marius Barbeau, Romancero du Canada (Montréal: Editions Beauchemin, 1937), p. 184.

4LeMoniteurAcadjen, le 13 décembre 1877, p.2.

5ibid., le 24janvier 1878, p.1.

6Ibid., le 23 mai 1878, p. 2.

7lbid., le ler aoüt 1878, pp. 2 et 3.

8Ibid., le 15 aoüt 1878, p. 2.

9Ibid.,le 19 décembre 1878,p. 2.

10Cette traduction de l'annonce fut publiée dans LeMoniteurAcadien, le 21 aoüt 1889, p. 4.

11Le Moniteur Acadien, le 14 octobre 1890, p. 3.

12Centre d'études acadiennes, collection Pére Anselme Chiasson, enregistrement 1228. La transcription musicale est de Charlotte Cormier, ethnomusicologue au C.E.A.

13Québec Les Presses universitaires Laval, 1958.

14Le MoniteurAcadien, le 24janvier 1878, pp. 1 et 2.

Résumé. Georges Arsenault: "The Murder of Timothy McCarthy." This locally composed ballad deals with the violent end of a Moncton hotelier, Timothy McCarthy, who was allegedly killed for his money at the Waverly Hotel, Shediac, in 1877. The hotel maid, Annie Parker, claimed to have witnessed the murder, committed by Mrs. Osborne, wife of the hotel's proprietor, abetted by her son Harry. Despite two lengthy trials, no one was ever indicted for the murder. The ballad's plot was based essentially on Annie Parker's evidence, which held the Osbornes guilty. The song is widely known in south-eastern New Bruswick, and has also been collected in Prince Edward Island and the Gaspé.