Canadian Journal for Traditional Music (1976)

Fais Dodo: L'Enfant de la Cage

Francois Brassard

Abréviation. AF: pièce conservée aux Archives de folklore, Université Lava!, Québec.

Versions citées. On ne s'arrête ici ni aux autres endormeuses, sauf pour signaler, comme exemples, des situations parallèles, ni aux redactions de Fats dodo, Colas, sauf pour fins d'observations très définies.

Fais dodo, le petit.

Saguenay. AF — François Brassard: 1944, Jonquière, Mme Lionel Allard.

Fais dodo, pinoche.

Saguenay. AF — François Brassard: 1943, Jonquière, COme Brassard.

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Fats dodo, Colas.

Bas-Saint-Laurent. AF — Yolande Rhéaume: 1968, Rimouski, Mme Isidore Lévesque.

Saguenay. AF — François Brassard: 1956, Kénogami, Mme Arsène Lapierre. La chanteuse a rapporté avec elle son repertoire des Iles-dela-Madeleine. Sa version est acadienne.

Québec. AF — Jean-Pierre Pichette: 1968, Québec, Roger Potvin.

Estrie 1. AF — Luc Lacourcière: 1955, Saint-Jean-Baptiste de Rouville, Mme Elphêge Guertin.

Estrie 2. AF — S. M. Sainte-Hélène: 1960, Sainte-Marie de Blanford, Céline Côté.

Fats dodo, l'enfant de la cage.

Saguenay. AF — François Brassard: 1952, Chicoutimi, Mme Henri Tremblay.

Les petites chansons de berceau font souvent l'énumération des familiers de l'enfant. Sans franchir nos limites linguistiques romanes, ceci s'observe couramment dans le monde français, dans le domaine italien, en Hispanité, dans l'univers portugais. Les utffisations sont innombrables. Ii faut passer outre.

Les chansons ont l'énumération simple. Voyez Fats dodo, le petit:'

Fais dodo, le petit,
C'est papa p'is maman p'is memère,
Fais dodo, le petit,
C'est papa qui l'a dit.1

Elles ont l'énumération rattachant les personnages a des lieux et occupations. Notre Fais dodo, pinoche a:

1 Saguenay

Fais dodo, pinoche,

Ta mere est allée aux noces, Ton p'tit frères est au moulin, Ta p'tit' soeur va venir demain, Eli' va t'apporter un' p'tit' catin

Gross' comm' Ia tét'de ton p'tit chien.2

Cette manière est coutumière a la petite endormeuse de notoriété si universelle en France et dans les pays français, Fais dod, Colas.

J'ai été très heureux d'entendre un jour et de recueillir Fats dodo, l'enfant de la cage, qui est une forme forestière très canadianisée de Fats dodo, Colas. Ce me fut chanté le 27 avril 1952, par Mme Henri Tremblay, chez elle, dans le rang Saint-Jean-Baptiste, qui va de Rivière-du-Moulin a Saint-Alphonse, au Saguenay. La chanteuse, née Délima Boily, de 91 ans, avait été, a ses neuf ans et demi, du voyage qui transportait la famille et tout son avoir, par terre, en des routes n'existant que de nom, du lieu d'origine, le Deuxième rang du Lac, Sainte-Agnès, Charlevoix, a ce jeune pays d'oü elle n'a plus jamais bougé. Sa chanson lui venait de son père, William Boily. Elle dit:

"Je chantais ça pour endormir les enfants. C'est papa qui nous chantait ça, j'étais jeune ... pour nous endormir aussi." Car, cette chanson plus récente, qui était un prolongement de la chanson plus ancienne de Fais dodo, Colas, en avait garde la poétique et n'avait rien abdiqué de sa fonction: ce sont toujours les éléments du texte spécifiques de l'endormeuse, avec leur puissance propre accumulée au long des routes de la tradition.

Papa est en haut
Qui bUch' des billots,
Maman est en bas
Qui fait le beurdas,
Fais dodo, l'enfant de la cage,
Fais dodo, t'aras du lolo.3

La chanson est, toujours dans son inseparable fonction gardée, d'une canadianisation avancée et du reste ancienne, du moms dans ce contexte des chansons du fonds canadien. La chanteuse a des souvenirs vifs et précis de son enfance. Elle m'a fait le récit long, détaillé et encore tout frais a sa mémoire de son épique traversée de Charlevoix au Saguenay. Dans cette matière si mémorisable qu'est la chanson, elle remonte aussi haut que le souvenir, naturellement, a ses six ou huit ans aux jours de Sainte-Agnès où elle entendit premièrement, de son père Fats dodo, l'enfant de la cage et, a Ia repasse qu'il en faisait avant une noce, Chers amis, réjouissons-nous, et, de sa mere au rouet et sur ses genoux, Je me disais tous les jours et d'autres pièces.

La chanteuse, toujours a partir de ces années, a entendu Fais dodo, l'enfant de la cage, sans cette forme, de son père. Nous avons ainsi devant nous le phénomène d'une canadianisation qui, d'un bond, remonte au moms aux alentours de 1870. Et c'est sans prejudice, cette période de son existence qui nous est connue, pour une autre période, antérieure, oü elle circulait aussi, qui nous échappe, et qui remonte du pére de notre chanteuse a un chanteur auteur plus ancien. Car cette transformation aux couleurs canadiennes n'est pas de William Boily et, sans doute, ne date pas de lui, mais de plus loin. Lui, il a été chanteur non auteur mais transmetteur. S'il eUt été auteur, sa file l'aurait su et clairement laissé voir. Le silence d'une informatrice servie par une si heureuse mémoire équivaut a un argument négatif. Du reste, en cc milieu Boily, les jours s'écoulaient dans des preoccupations non forestières, mais cobonisatrices et terriennes.

Cette canadianisation de chanson est assurément plus ancienne: d'avant les années 1870, de l'enfance de la chanteuse, et, disons aussi, 1850, de l'enfance de son père. Elle ne peut cependant remonter au-delà du debut du XIXe siècle, qui vit l'ouverture des chantiers de 1'Outaouais avec leurs équarrissages de grands bois et leurs descentes de cages.

La Canadianisation Elle-MÊMe va Nous Montrer Ceci.

Le personnage typiquement français de Colas se rattache mal au pays nouveau. Hors de pièces comme Fais dodo, Colas, il ne nous est présenté que rarement ou livresquement. Lors de la refonte de la chanson, il disparait. Il est, en dehors, n'est-ce pas, de toute demi-mesure, remplacé par la designation "l'enfant de la cage", illustrative du grand moment de l'épopée du bois carré et, des lors, on ne peut plus foncièrement canadienne.

Il y a un autre concept a voir. Les Fats dodo, Colas mettent en opposition deux tableaux dits l'un de haut et l'autre de bas, simplement pour le haut et le bas de l'habitation. Ces tableaux peuvent s'arrêter aux délices du palais — il y a le gáteau et le chocolat — ou encore toucher aux choses de la vie plus dure, d'utilité et pratiques.

3Saguenay

Peut-étre signalerai-je que parmi celles-ci, les travaux du bois reçoivent ieur part d'attention. Mais ils n'ont pas de rapport avec la chanson de l'enfant de la case et n'y conduisent pas. Les versions montrent papa qui, en haut, scie du bois, fait des sabots5 et souvent, par juste balañcement, maman qui, en bas, fait son bardas.6

Notre chanson canadianisée ne pourra, bien sUr, exprimer la forêt que dans un contexte d'utile et même de dur et de laborieux. Et remarquons que i'opposition entre le haut et le bas, qui était a petite échelle, va entrer a present dans des transes d'oü elle sortira agrandie a l'échelle d'un immense pays. De plus, cet agrandissement nous désignera, nous et pas d'autres. En haut, ce n'est plus l'intimité chaude du haut de l'habitation, mais le monde lointain, isolé, different, du travailleur hardi qui abandonne tout pour monter, monter aux chantiers, aller en haut, vers les hauts ou les pays d'en haut, les pays en remontant les courants, be Haut-Canada et outre. En bas, cc n'est plus par opposition au haut de l'habitation, le simple bas de celle-ci, accueiiant, protégé et calme; faisant équiibre avec l"en haut" des pays lointains des forestiers, c'est, cet "en bas", le chez soi a sa large acception, be pays quitté, le Bas-Canada, le monde vers lequel les eaux s'écoulent, pour qui sont les pensées et les propos et qui est en lui-même un but a chaque instant entrevu. Les mêmes expressions, "en haut", "en bas", sont acceptées dans le langage, les chansons, les écrits. Comprises de tous, cUes collent a leur sens autre magnifié.

Cette interpretation me semble supérieure a toute autre: a celle, par exemple, de l'enfant associé un jour par des circonstances de fait, de temps ou d'autre sorte, a la cage, qu'on retrouve peu après, avec les siens, sur la propriété famiiale, oü, sur le haut de la terre ou en haut sur la montagne ou sur be lot a bois, be père bUche des billots, tandis qu'en bas, a la maison, aux bâtisses, au jardin, la mere fait le beurdas. Mais ceci n'est pas le cas. C'est contredit par l'empreinte de la cage donnée a la pièce au debut. Cette empreinte de Ia cage ou du bois carré est trop forte et marquante pour qu'on puisse, d'un coup d'éponge et sur une quelconque supposition, l'effacer. En haut oü on bUche des bilots désigne bien ici alors les hauts, les pays outaouais des grandes exploitations du bois. En bas, c'est, a côté de cet en haut des voyages, la simple opposition marquant l'ensemble village, campagne et chez soi des regions habitées.

Tout en s'inscrivant dans les canons habituels a la chanson Fats dodo, Colas, la melodic de la nOtre a su, pour sa partie médiane, renoncer au bana et au déconcertant de trop de notations, au bénéfice du substantiel, du consistant et de l'expressif qui ont Pu lui venir de ses frottements avec le plain-chant. Méme une petite chanson a droit a de la beauté et, si elle célèbre les grands moments du bois carré, a de la noblesse.

Université Laval,

Quebec, P.Q.
4Quebec

5Bas-Saint-Laurent, Saguenay, Estrie 1 et 2

6Bas Saint-Laurent, Estrie 1